La question la plus urgente sera d’abord celle de la coalition. Le nouveau gouvernement ne devrait pas beaucoup changer, centré autour de Kadima, le Parti travailliste et quelques petits partis d’appoint. Après avoir tenu quelques propos d’ouverture, Tzipi Livni s’est ravisée et a finalement déclaré ne pas vouloir gouverner avec le Likoud. Ce dernier, réciproquement, ne veut pas d’elle et préfère rester dans l’opposition pour y conforter sa bonne place dans les sondages et tenter une aventure solitaire lors des prochaines élections.
Peu de choses devraient donc bouger dans la coalition, ce qui ne veut pas dire que peu de choses peuvent bouger politiquement : dans un système intégralement proportionnel aussi instable qu’est le système parlementaire israélien, le moindre mouvement peut être l’occasion pour les petits acteurs de remonayer leur appui au plus cher. Le parti Shaas a déjà ainsi fait savoir qu’il tenait particulièrement à une augmentation drastique des dépenses sociales dont ne veulent pas entendre parler leurs alliés travaillistes. Gérer la surenchère de ses soutiens s’avèrera donc une tâche urgente et délicate pour Tzipi Livni. Si elle n’y parvient pas dans les 40 jours, des élections anticipées risquent fort de mettre un terme à Kadima et à cette tentative unique dans le paysage politique israélien de « troisième voie ».
En faisant l’hypothèse qu’elle réussira à stabiliser une nouvelle et courte majorité de coalition, reviendront alors évidemment dans l’agenda les négociations en cours avec les Palestiniens. Même si les discours pessimistes d’observateurs se succèdent – et se renforcent mutuellement – quelques éléments intéressants méritent d’être soulignés.
L’ancien représentant spécial de l’UE au Proche-Orient et actuel ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, de retour il y a quelques jours d’une visite dans la région, a affirmé que « 70 km² seulement séparent les positions israéliennes et palestiniennes ». On savait que les négociations avaient continué à avancer malgré la préparation de ce changement gouvernemental. Ehoud Olmert aurait proposé qu’Israël transfère aux Palestiniens des territoires équivalant à 5,5% de la superficie de la Cisjordanie, en grande partie des terres agricoles et quelques terres non-habitées autour de la bande de Gaza, en compensation du territoire occupé par les colonies israéliennes. A cela s’ajouterait un couloir terrestre de 40 km de longueur reliant la bande de Gaza et la Cisjordanie et traversant le territoire israélien, sous souveraineté israélienne mais contrôlé exclusivement par les Palestiniens. Israël aurait également proposé d’accueillir en Israël « un nombre symbolique » de quelques milliers de réfugiés et aurait fait une offre généreuse en ce qui concerne Jérusalem, sans doute une offre de partage de souveraineté avec la reconnaissance de la ville comme capitale des deux Etats et des propositions techniques pour régler le statut des lieux saints. Ehud Olmert avait déjà laissé entendre il y a quelques mois qu’il n’était plus hostile à un partage de Jérusalem, ce qui avait provoqué de forts remous dans sa majorité.
Les positions des deux camps sembleraient donc se rapprocher sur les trois questions fondamentales que sont les frontières, les réfugiés et le statut de Jérusalem. En réalité, depuis les négociations de Camp David II (2000) et de Taba (2001) précisées par l’accord non-officiel de Genève (2003), il y a peu de doute sur le contenu de l’accord final. La question est savoir quand et dans quelles conditions les dirigeants des deux côtés seront prêts à l’assumer. On semble s’en rapprocher à travers de discrètes négociations. Mais le fait même que ces négociations soient si discrètes peut être un signe que les dirigeants des deux camps ont conscience de l’extrême fragilité de leur situation actuelle, si ce n’est de leur incapacité à faire vivre cet accord devant leurs oppositions respectives.
Il fait peu de doute en effet que le Likoud attaquera sans ménagement tout accord proposé par la coalition actuelle, jouera de la fibre nationaliste et sécuritaire d’autant plus violemment que les élections approcheront et apportera un soutien sans faille aux colons de Cisjordanie pour rendre leur expulsion encore plus traumatisante que celle des colons de Gaza, qui a déjà laissé des traces profondes. Le Hamas de son côté se fera un plaisir de rappeler à Mahmoud Abbas, déjà bien affaibli, que son mandat expire en janvier prochain et qu’il ne dispose pas de légitimité pour se maintenir au-delà (même si des élections sont impossibles à tenir actuellement), et de pointer les incursions israéliennes qui n’ont jamais cessé (presque 500 morts palestiniens depuis la conférence d’Annapolis en novembre dernier), l’accélération de la colonisation qui rend chaque jour plus difficile un retrait israélien, et la situation humanitaire à Gaza qui alimente le désespoir et la rancœur.
Les deux parties (les trois si on compte les Etats-Unis) ont bien compris cela, qui ne plaident désormais plus pour un accord à tout prix avant la fin de l’année comme affiché avec beaucoup d’optimisme à Annapolis. « Je crois que le calendrier est important, mais ce qui est plus important est le contenu de l’accord que nous pouvons atteindre avec les Palestiniens » a ainsi déclaré Tzipi Livni. Sage précaution. Il serait en effet hasardeux de rejouer l’emballement de l’année 2000, lorsque découvrant bien tardivement le problème israélo-palestinien, l’administration Clinton avait tout fait pour le régler avant la fin de son mandat, précipitant l’aboutissement des négociations à Camp David, ce qui les avait fait voler en éclat quelques mois après, si près du but. L’année 2000 est dès lors restée comme « l’année des occasions manquées », espérons que 2008 ne suive pas cette voie.