Une analyse optimiste consiste à penser que les JO de Pékin pourront jouer un rôle d"’accélérateur démocratique" comparable aux Jeux de Moscou en 1980 ou à ceux de Séoul en 1988. Rappelons le contexte historique des Jeux de Séoul : la Corée du Sud avait obtenu d’organiser les JO alors que le pays était en état de siège après l’assassinat du président Park Chung-Hee en 1979, en plein climat insurrectionnel (200 morts dans les affrontements entre manifestants et police dans la ville de Kwangju en mai 1980). Pendant toute la préparation des Jeux, la poursuite de violentes manifestations étudiantes avaient fini par entraîner la démission du président Chun Doo Hwan - un homme fort qui espérait profiter des Jeux pour renforcer son pouvoir - et à l’organisation d’une élection présidentielle anticipée en décembre 1987.
Victimisation et crispation nationale
Un certain nombre d’observateurs réfutent cette comparaison avec les Jeux de Séoul. Ils constatent que les critiques à l’égard de la Chine, nombreuses dans le monde entier depuis le printemps et les événements du Tibet, ont provoqué l’inverse de l’effet voulu, puisqu’elles ont encouragé les réflexes nationalistes et une forme d’union sacrée derrière le drapeau chinois. Les partisans de la « ligne dure » au sein du régime communiste à Pékin ne peuvent que se réjouir d’un sentiment assez largement partagé aujourd’hui de « victimisation » collective.
La situation des droits de l’homme en Chine a plutôt empiré au cours des derniers mois. Les événements du Tibet au printemps 2008 en ont été le signe le plus spectaculaire. Dans le même temps, le nombre des arrestations d’opposants politiques n’a jamais été aussi élevé depuis l’an 2000. Par ailleurs, l’influence protectrice de la Chine à l’égard de régimes sanguinaires (Soudan, Zimbabwe) ternit sérieusement l’image de la Chine.
« Bien que les libertés individuelles et économiques aient été sérieusement améliorées, les libertés politiques ont été restreintes depuis l’arrivée de Hu Jintao à la présidence en 2003 », comme le souligne The Economist (2 août 2008).
Quand le CIO a accordé les Jeux à la Chine en 2001, il n’y a pas eu de « deal » selon lequel le pays s’engagerait à une amélioration de la situation des droits de l’homme, contrairement à ce qu’on lit souvent dans la presse. Le CIO s’est contenté de préciser qu’il y aurait des « discussions » sur ce dossier avec Pékin, en ajoutant par ailleurs qu’il « n’était pas naïf ». C’est ce que rappelle, dans Foreign Policy (1er juillet 2008) John Hoberman, un historien de l’olympisme à l’Université d’Austin (Texas).
Ne pas se bercer d’illusions
Chen Ziming, l’un des leaders de l’opposition au régime communiste, craint que les Jeux ne changent rien à la situation politique malgré l’émergence de certains courants réformateurs et libéraux au sein du gouvernement chinois. "Le gouvernement chinois, les intellectuels et la population espèrent tous que les Jeux seront un succès", a-t-il déclaré le 28 juillet lors d’une conférence de presse à Sydney, à l’occasion de son premier voyage hors des frontières chinoises. "Nous espérons aboutir au même résultat que les Jeux de Séoul (en 1988), ce qui permettrait une ouverture politique, une amélioration en matière de droits de l’homme et des progrès vers un changement structurel du système politique", a-t-il ajouté. "Mais il y a toujours une force qui s’oppose (aux changements), composée de l’élite qui est actuellement au pouvoir ».
Vingt ans plus tard, les dissidents chinois ne se font guère d’illusions quant à une éventuelle ouverture politique de la Chine à la faveur des JO. "Impossible", résumait Wang Juntao, un autre opposant au régime, au cours de la même conférence de presse. D’après lui, le régime communiste devrait même renforcer sa mainmise et la censure sur le pays une fois les Jeux terminés. "Je pense que les autorités chinoises veulent ouvrir leurs portes au monde pour lui prouver leur succès, lui montrer quelle grande économie ils ont bâti ces 20 dernières années", a déclaré Wang, emprisonné en 1989 pour sa participation à la révolte de Tiananmen.
"Mais il y a d’autres problèmes qui se sont développés en Chine et ils ne veulent pas que la communauté internationale ne s’en aperçoive, donc ils doivent fermer les portes rapidement", a-t-il ajouté, citant notamment le fossé grandissant qui sépare les riches des pauvres dans le pays.
Conflits au sommet du pouvoir
Chen, qui a été libéré pour raisons médicales en 1996 mais reste sous surveillance étroite de la police, estime que des courants pro- et anti-réformistes s’opposent constamment au sein du gouvernement chinois. Certains dirigeants, précise-t-il, l’encouragent en privé en lui disant qu’il n’est "pas le seul" à lutter. "Cela montre que, même au sein du gouvernement, certains cadres de mon âge partagent mes opinions et qu’il y a des forces pro-démocratiques."
"J’espère, dit-il, que ces forces vont se renforcer après les Jeux au sein du gouvernement à mesure qu’elles se renforceront au sein de la population." Pour Chen, le meilleur test pour juger de l’éventuelle ouverture du régime de Pékin sera de voir si les autorités acceptent de le laisser rentrer en Chine après ses critiques virulentes formulées à l’étranger.