Comment sortir de l’impasse institutionnelle provoquée par le »non » irlandais au traité de Lisbonne ? Jacques Delors a été le premier, il y a déjà des années, à proposer l’idée d’une "avant-garde européenne". Aujourd’hui, il se garde d’employer l’expression parce qu’il sait qu’elle effraie notamment les nouveaux venus dans l’UE. Avant-garde ou pas, il est partisan d’une « différenciation » qui peut être mise en œuvre sans violer les règles communes applicables à l’ensemble des Vingt-Sept. Il a renoncé à son idée d’un traité dans le traité, qu’il avait avancée jadis et qui est aussi jugée « irréaliste » par Joshka Fischer.
« Ce n’est pas en créant une avant-garde qu’on menace l’Europe, dit Fischer, c’est en continuant sur la voie actuelle » qui mène à un blocage récurrent. « On ne peut pas dire qu’on respecte le vote des Irlandais et leur demander de revoter », ajoute-t-il. La chancelière Angela Merkel a déclaré après le vote irlandais qu’il n’était pas question d’une Europe "à plusieurs vitesses" et qu’il fallait poursuivre à 27. En bon politique, Joshka Fischer comprend une telle déclaration, mais n’en pense pas moins qu’elle est guidée par des considérations de pure tactique.
Quand Joshka Fischer était au pouvoir, il avait repris l’idée d"’avant-garde" européenne à son compte dans son grand discours sur l’Europe prononcé en mai 2000 à l’Université Humboldt de Berlin, à la vieille de la précédente présidence française de l’UE. Ce discours avait eu le don d’irriter Lionel Jospin et son ministre des affaires étrangères Hubert Védrine. Appliquant les règles non écrites de la cohabitation, Jacques Chirac en avait au contraire chanté les louanges.
Jacques Delors propose aujourd’hui de commencer par mettre en place une nouvelle Communauté de l’énergie, sur le modèle de la CECA dans les années 1950. Celle-ci réunirait les pays qui acceptent une politique énergétique commune qui éviterait « le carrousel indigne » des dirigeants européens autour de Vladimir Poutine, ajoute-t-il. Personne ne serait obligé d’en faire partie, mais tous ceux qui voudraient le pourraient, renchérit Fischer. « L’Europe doit cesser d’être l’otage de ceux qui refusent plus d’intégration », ont conclu les deux intervenants.