Jean-Claude Juncker quitte la scène nationale

Au lendemain des élections législatives, le premier ministre sortant démocrate-chrétien s’apprête à abandonner son mandat au profit de son concurrent libéral, Xavier Bettel, président du Parti démocratique. Il pourrait briguer la présidence du Conseil européen.

Relève à Luxembourg : premier ministre depuis 1995, l’inamovible Jean-Claude Juncker, l’une des principales personnalités de la scène européenne, va céder sa place à un jeune avocat devenu il y a deux ans maire de la capitale, Xavier Bettel. Si le parti chrétien-social (démocrate-chrétien) auquel appartient Jean-Claude Juncker est arrivé en tête aux élections législatives (avec 23 sièges, soit un recul de trois sièges), il doit s’incliner devant une coalition formée par le Parti démocratique (libéral) de Xavier Bettel, les sociaux-démocrates et les écologistes, qui totalisent 32 sièges (dont 13 pour le Parti démocratique, qui progresse de 4 sièges, 13 pour les sociaux-démocrates, qui conservent le même nombre d’élus, et 6 pour les écologistes).

Pour Jean-Claude Juncker, c’est la fin d’une longue carrière nationale, commencée en 1982, à l’âge de 28 ans, par un mandat de secrétaire d’Etat au travail et à la Sécurité sociale, continuée par les fonctions de ministre du budget, ministre des finances ou ministre du travail dans les gouvernements suivants, couronnée en 1995 par l’accession au poste de premier ministre, en remplacement de Jacques Santer, nommé président de la Commission européenne. Jean-Claude Juncker n’a pas battu le record de longévité dans cette fonction, puisque l’un de ses prédécesseurs, Pierre Werner, l’a exercée de 1959 à 1974 puis de 1979 à 1984, soit pendant vingt ans. Avec près de dix-neuf ans au pouvoir, le premier ministre sortant n’en talonne pas moins son illustre devancier.

Mis en difficulté par des révélations sur le fonctionnement des services de renseignement luxembourgeois, abandonné, à la suite de cette affaire, par ses partenaires socialistes, Jean-Claude Juncker quitte donc la scène nationale mais il peut encore rebondir, à près de 59 ans (il est né le 9 décembre 1954), sur la scène européenne. Lui qui a présidé pendant huit ans l’Eurogroupe, la réunion périodique des ministres européens des finances (quoique premier ministre, il avait conservé son titre de ministre des finances), et qui a refusé en 2004 de devenir président de la Commission européenne, pourrait aspirer à une haute fonction internationale. On évoque notamment la succession d’Herman Van Rompuy à la présidence du Conseil européen. Si son franc-parler et sa causticité lui ont valu quelques ennemis dans les milieux européens, son expérience communautaire, ses talents de négociateur, sa stature d’homme d’Etat lui apportent aussi de nombreux partisans.

Une nouvelle génération aux commandes

Avec la désignation de Xavier Bettel à la tête du gouvernement luxembourgeois, c’est la famille libérale qui accède au pouvoir. C’est la première fois depuis le mandat exercé par Gaston Thorn de 1974 à 1979. Né le 3 mars 1973, le nouveau premier ministre est âgé de quarante ans – soit, à un an près, l’âge de Jean-Claude Juncker lorsqu’il est devenu premier ministre. Chaleureux et convivial, il a su s’attirer la sympathie de ses compatriotes parfois déroutés par l’humour grinçant de Jean-Claude Juncker. Homosexuel déclaré, il n’a pas hésité à se rendre au mariage du grand duc héritier escorté de son compagnon, un architecte luxembourgeois. Lorsqu’il a été élu maire en 2011, on n’a pas manqué de noter que Luxembourg était, après Berlin et Paris, la troisième capitale européenne à être dirigée par un homosexuel.

Une nouvelle génération accède aux commandes du grand-duché. Avec son principal allié, Etienne Schneider, chef de file des sociaux-démocrates, ministre de l’économie et du commerce extérieur du gouvernement sortant, âgé de 42 ans, Xavier Bettel incarne une volonté de renouvellement et de rajeunissement des élites luxembourgeoises. Certains le considèrent comme un opportuniste dont le programme varie en fonction des circonstances. D’autres louent son dynamisme et son esprit d’ouverture. En écartant Jean-Claude Juncker, il a « tué le père », dit-on à Luxembourg. Mais le père, rendu à sa liberté, n’a pas l’intention, affirme-t-il, de se retirer de la vie politique.