Jeu de dupes à Genève

Les négociations entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne (les 5+1), qui ont eu lieu du 7 au 9 novembre à Genève, se sont terminées sans un accord. Elles devraient reprendre le 20 novembre. En refusant un accord précipité, la France a lancé une mise en garde contre un jeu de dupes.

Le blocage a été imputé à la partie française, qui a estimé insuffisantes les garanties offertes par la délégation conduite par le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif.

De son côté, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a été pris de court et contrarié par les déclarations faites par le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius qui a, à trois reprises, brisé le silence entourant les négociations, parlant même d’un « jeu de dupes » auquel se livraient Iraniens et Américains pressés d’afficher un succès, entraînant dans leur sillage Catherine Ashton, haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

De retour à Téhéran, la partie iranienne ne s’est d’ailleurs pas privée d’enfoncer le clou pour désigner « le coupable » du déraillement de ce processus qui n’en n’est qu’à ses débuts.

De passage à Abou Dhabi, John Kerry a été beaucoup plus tempéré dans ses déclarations, cherchant à rassurer les alliés arabes des Etats-Unis particulièrement inquiets de ce rapprochement irano-américain, qui a également suscité la colère du gouvernement israélien.

Cette affaire souligne en tout cas deux points essentiels dans la politique menée par l’administration Obama au Proche-Orient :

1- Rien ne peut être conclu sans une position commune de l’Europe et des Etats-Unis. La volte-face américaine, à la mi-septembre, sur le dossier syrien a, non seulement humilié la France et révolté l’opposition syrienne, mais également affaibli le crédit des Etats-Unis auprès de leurs alliés arabes et israéliens, soulignant une grave incohérence dans la conduite de la politique américaine dans cette région.

2- La mauvaise évaluation de la volonté affichée du pouvoir iranien de conclure un accord motivé principalement par le souci d’alléger les sanctions économiques et de conforter le gouvernement du président Rohani en faisant le calcul quelque peu illusoire de contrebalancer voire d’isoler la position de ceux qu’on qualifie de « conservateurs » du régime iranien, à savoir le noyau dur regroupé autour de l’ayatollah Ali Khamenei, le « Guide suprême » seul détenteur du pouvoir de décision.

Deux fermetés qui vont de pair

La meilleure illustration du conflit qui déchire le Proche-Orient est ce qui se déroule en Syrie, où le régime du président Assad tente, depuis le début de l’été, de reprendre l’initiative militaire pour retourner la situation en sa faveur, aidé par l’envoi massif d’armement russe de plus en plus sophistiqué (missiles SSM, hélicoptères et avions de chasse) et de la présence tout aussi massive d’unités d’élite du Hezbollah libanais et de Pasdarans iraniens.

En même temps qu’on se réunissait à Genève pour afficher force sourires de satisfaction devant les caméras, une offensive d’envergure avait lieu sur le terrain, dans les faubourgs d’Alep, au Nord de la Syrie, où les forces militaires irano-libano-syriennes reprenaient le contrôle d’une importante base militaire que le régime avait perdue en début d’année. Ce succès devrait faciliter la reprise du contrôle de l’aéroport de la capitale économique syrienne, obérant la fourniture d’armes aux partisans de l’opposition.

Parallèlement, la coalition des opposants syriens se réunissait à Istanbul pour définir une position commune en vue des pourparlers qui pourraient se tenir à Genève en décembre.

Les deux dossiers sont désormais liés : la survie du régime syrien en contrepartie d’une concession sur le nucléaire iranien, tel est le jeu de dupes contre lequel M. Fabius a voulu aussi mettre en garde, sous-entendant qu’on risquait de « lâcher la proie pour l’ombre ». La fermeté française sur le nucléaire iranien pourrait dissuader Israël de tenter une attaque militaire sur l’Iran. François Hollande le redira lors de son voyage en Israël et dans les territoires, à la fin de la semaine.

On voit mal en effet comment on pourrait sortir du guêpier syrien en ayant une attitude pour le moins conciliante avec l’Iran. Les deux fermetés vont de pair. Barack Obama et John Kerry vont devoir revoir leur copie.

Un habile scenario

Le scénario écrit par les Iraniens est très habile. Il rappelle par certains côtés ce qu’on conseille au touriste occidental qui se rend dans un bazar oriental : « Si vous voulez faire une bonne affaire, ne montrez surtout pas votre intérêt pour un article précis. Intéressez-vous à autre chose pour négocier ce qui vous intéresse au meilleur prix ».

Laurent Fabius a eu raison de rester vigilant et de donner l’occasion à François Hollande d’effacer l’humiliation subie, à la mi-septembre, après l’accord russo-américain sur les armes chimiques syriennes qui a eu pour effet de conforter le régime dans sa cruelle politique de répression et d’éradication de toute opposition.

Les Américains, qui ont cru se sortir d’une situation difficile en négociant sur l’arsenal chimique syrien avec Vladimir Poutine dans le dos de la France et l’indifférence de l’Europe pour se rapprocher des Iraniens et laisser faire le régime criminel de Damas, ont encore beaucoup à apprendre dans cet Orient compliqué où il faut éviter de venir avec des idées simples !