Pour le président algérien Abdelaziz Bouteflika, c’est peut-être la candidature de trop. Elu à la tête de l’Etat en 1999, réélu en 2004, 2009 et 2014, le voici candidat à un cinquième mandat, le 18 avril prochain, à près de 82 ans (il est né le 2 mars 1937) alors même que les séquelles d’un AVC le clouent à son fauteuil roulant et l’empêchent de s’exprimer en public. Le vieil homme malade est, à l’évidence, dans l’incapacité d’exercer sa fonction. C’est son entourage, incarné notamment par son jeune frère Saïd (61 ans), qui gouverne à sa place. Faute de s’accorder sur le nom d’un successeur, ce clan, qui tient en mains les commandes de l’Algérie derrière la façade du pouvoir officiel, a choisi, une fois de plus, de soutenir le président sortant malgré son état de santé défaillant, qui le tient à l’écart de la scène publique.
Depuis vingt ans, la coterie organisée autour d’Abdelaziz Bouteflika avait réussi à maintenir son emprise sur le pays. La défense de ses intérêts lui tenait lieu de programme. L’élection présidentielle, tous les cinq ans, n’était pour elle qu’une formalité. Ses différentes composantes savaient s’unir, lorsqu’ii le fallait, sous la bannière du vieux chef. Mais en 2019 un grain de sable est venu enrayer la machine, et non le moindre : la protestation du peuple algérien contre une nouvelle reconduction du chef de l’Etat. Celui qui fut plusieurs fois ministre, aussitôt après la naissance de la République algérienne, dans les gouvernements d’Ahmed Ben Bella et de Houari Boumediene, apparaît aujourd’hui comme un homme du passé à une jeunesse qui représente près de la moitié de la population et aspire à un changement véritable.
« Les Algériens ont brisé le mur de la peur »
Des dizaines de milliers de manifestants ont ainsi défilé dans les rues d’Alger et d’autres villes du pays au cri de « le peuple ne veut ni Bouteflika ni Saïd » ou encore « Algérie libre et démocratique ». Certains scandaient : « C’est une République, pas un royaume » ou tout simplement « Non au cinquième mandat ». Pacifiquement mais résolument, les protestataires ont levé l’étendard de la révolte. « Les Algériens ont brisé le mur de la peur », constate le journal Liberté. « L’Algérie dit non », commente un autre quotidien francophone, El Watan. Les marcheurs ont bravé les interdictions pour exprimer leur colère et rejeter le scénario écrit d’avance d’une réélection annoncée.
Dans un communiqué, Abdelaziz Bouteflika a opposé à leurs revendications « les vertus de la stabilité » qu’il est censé incarner. Il est peu probable que cette réponse suffise à convaincre les acteurs du mouvement.
Le pouvoir algérien a le choix entre plusieurs options pour tenter de calmer la rébellion. La première est celle du passage en force pour imposer la candidature du président sortant. De même qu’il avait su en 2011 écarter la contagion des « printemps arabes » en « achetant » la paix sociale par le moyen des revenus pétroliers et en ravivant le spectre de la guerre civile des années 1990, le régime peut espérer par les mêmes procédés désarmer la contestation, quitte à manier simultanément la carotte de l’aide financière et le bâton de la répression. Tout dépendra de la détermination des manifestants, qui annoncent d’autres journées de manifestation et ne semblent pas prêts à céder. A supposer qu’Abdelaziz Bouteflika soit réélu, le risque d’une explosion sociale n’en serait que plus grand.
La seconde hypothèse est que le pouvoir ait la sagesse de renoncer à ce que certains, dans la rue, appellent une « mascarade » et de s’entendre enfin pour préparer l’après-Bouteflika. Pour le moment rien ne laisse présager une telle ouverture. Les dirigeants algériens n’ont donné jusqu’ici aucun signe en ce sens, ni esquissé le moindre geste qui permettre de faire baisser la tension. Ils s’exposent, s’ils persistent, à un soulèvement qui plonge le pays dans le chaos. La France est directement intéressée par les soubresauts qui agitent son ancienne colonie, non seulement parce qu’un passé commun lie les deux pays, mais aussi parce que l’éventuelle déstabilisation de son voisin d’outre-Méditerranée ne serait pas sans graves conséquences pour elle.