Deux hommes portent aujourd’hui l’espoir d’un renouveau de l’Union européenne au moment où celle-ci se donne de nouveaux dirigeants. L’un est le jeune et dynamique chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, qui vient de prendre pour six mois la présidence tournante de l’UE. L’autre est l’expérimenté Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre luxembourgeois, qui va succéder à José Manuel Barroso à la présidence de la Commission. De ces deux personnalités installées au premier plan de la scène européenne, l’une depuis quelques mois, l’autre depuis une vingtaine d’années, on attend qu’elles donnent une impulsion nouvelle à la construction européenne au lendemain d’élections marquées dans de nombreux pays par une montée de l’euroscepticisme.
Certes la présidence tournante de l’Union européenne, désormais concurrencée par la présidence permanente, qu’occupe pour quelques mois encore Hermann Van Rompuy, ne confère pas beaucoup de pouvoir à son titulaire, mais, aussi brève soit-elle, cette fonction offre à qui le veut la possibilité d’ouvrir des pistes et de lancer des initiatives qui permettront éventuellement de relancer la machine communautaire. Tony Blair avait montré l’exemple il y a quelques années à l’occasion de la présidence britannique et, avant lui, Jean-Claude Juncker avait su, selon Jacques Delors, se montrer efficace pendant la présidence luxembourgeoise.
Il ne faut pas non plus s’illusionner sur le pouvoir de la Commission européenne dans une union qui laisse le premier rôle aux gouvernements nationaux. Le souvenir de Jacques Delors, dont l’action à la tête de la Commission s’est révélée décisive dans les années 80 et 90, est désormais lointain. La fonction s’est affaiblie après lui, en particulier sous le double mandat de José Manuel Barroso. Mais cette évolution n’est pas irréversible : s’il est soutenu par les principaux chefs d’Etat et de gouvernement, comme l’a été naguère Jacques Delors, le président de la Commission doit être capable d’imprimer sa marque sur les politiques européennes.
Quelles sont les cartes dont disposent, dans les limites de leurs compétences, les deux vedettes du moment, Matteo Renzi et Jean-Claude Juncker ?
Réorienter l’Europe
Le premier ministre italien mène tambour battant les réformes dont a besoin son pays mais il est aussi celui qui, s’appuyant sur son bilan intérieur, entend réorienter l’Union européenne, comme François Hollande l’a tenté sans beaucoup de succès depuis son arrivée à l’Elysée il y a deux ans. Le dernier Conseil européen lui a donné en partie satisfaction en adoptant, sous la pression des sociaux-démocrates, un « programme stratégique » qui a l’ambition de « concilier la discipline budgétaire et la nécessité de soutenir la croissance » dans le respect du pacte de stabilité mais grâce à la « flexibilité » qu’il autorise. On parle déjà d’un axe « Merkenzi » pour relancer l’Europe. L’Italie retrouverait ainsi le rôle moteur qui fut le sien à plusieurs reprises dans l’histoire de la construction européenne, à l’époque du traité de Rome puis, dans les années 80, sous la direction de Bettino Craxi et de son ministre des affaires étrangères, Giulio Andreotti. En appelant les Européens à cesser de présenter au monde le visage de la « fatigue » et de la résignation pour rendre à l’Europe son « âme » et le sens de son « vivre ensemble », le chef du gouvernement italien a tenté de secouer l’apathie qui menace l’UE et de lui insuffler un esprit combatif. La réussite n’est pas garantie mais c’est un bon début.
Un progrès incontestable
Si Matteo Renzi peut jouer sur un effet de nouveauté, ce n’est pas le cas de Jean-Claude Juncker, auquel on reproche plutôt d’incarner une Europe du passé, objet de tant de critiques. En revanche, le successeur de José Manuel Barroso peut se prévaloir du surcroît de légitimité démocratique que lui confèrent les modalités de sa désignation. Il a en effet été choisi par les chefs d’Etat et de gouvernement en tant que chef de file du parti victorieux aux élections européennes, le Parti populaire européen (conservateur). Même si beaucoup de ceux qui ont voté pour sa formation ne savaient pas qu’ils élisaient en même temps le futur président de la Commission, le progrès en termes de transparence et de démocratie est incontestable. Il faudra beaucoup d’habileté à l’ancien premier ministre luxembourgeois pour exploiter cette situation nouvelle sans heurter les Etats membres, dont plusieurs, à l’image de la Grande-Bretagne, étaient hostiles à cette procédure et au pouvoir accru qu’elle donne au Parlement. Mais Jean-Claude Juncker, réputé pour ses talents de négociateur, ne manque ni d’expérience ni de savoir-faire. La question est de savoir s’il aura aussi la volonté politique d’agir pour faire franchir une nouvelle étape à la construction européenne. Comme Matteo Renzi, il sera jugé sur son aptitude à mobiliser les dirigeants européens et à donner à l’Europe, avec eux, l’élan qui lui manque.