La vision de l’Afrique développée par Nicolas Sarkozy est « paternaliste », « néocoloniale »
et porteuse de clichés éculés sur l’ « homme africain », soulignent les auteurs de L’Afrique répond à Sarkozy. Une «
anthropologie à l’encre violette », comme l’écrit Mwatha Musanji Ngalassi,
professeur de linguistique à l’Université Michel de Montaigne/Bordeaux 3.
Le passage du discours de Sarkozy qui a sans doute le plus provoqué de
réactions disait que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est
pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des
millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie
avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la
répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. (…) Jamais l’homme
ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la
répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est
là ».
« Nous n’avons pas besoin d’entrer dans l’histoire, puisque nous sommes le
poumon de l’histoire de l’humanité », écrit un des auteurs de L’Afrique
répond à Sarkozy. Les intellectuels africains avancent trois
contre-arguments tirés du passé : le berceau préhistorique de l’humanité était
en Afrique, la civilisation égyptienne était selon eux une civilisation négro-africaine,
et les grands royaumes ou empires africains du Moyen-Âge ont développé de
riches civilisations comme l’Empire du Mali, où fut adopté, au 13e siècle, un
texte civilisateur important comme la Charte du Mandé.
Deuxième contre-argument : la réalité africaine d’aujourd’hui n’est pas celle
du « paysan africain », mais celle d’une explosion urbaine sans précédent et
surtout sans industrialisation. « Cette Afrique-là, cette réalité d’aujourd’hui
qui est celle des intensifications urbaines n’a rien, mais alors rien à voir
avec cet univers de paysans vivant le temps cyclique des saisons qu’a fabriqué
le gourou présidentiel », écrit Souleymane Bachir Diagne, professeur de
philosophie à la
Columbia University de New York.
A propos de la colonisation, qu’il a qualifiée de « grande faute », le
président français a tenu un discours qui se voulait équilibré, en dénonçant
d’un côté l’exploitation et le pillage des richesses africaines mais en
soulignant d’autre part que les puissances coloniales avaient construit des
ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles etc.
Ce discours ne passe absolument pas en Afrique. La condamnation des
intellectuels africains est unanime et sans appel.
Les 80 ans de colonisation sont globalement assimilés aux quatre siècles
d’esclavage et font l’objet d’un rejet en bloc.
Quoi qu’on pense du discours de Nicolas Sarkozy, on constate en lisant la
critique des intellectuels réunis ici qu’il ne réussit qu’à exacerber les
rancœurs. Il n’y a pas un auteur du livre qui ne cède à la tentation de
profiter de ce discours pour dénoncer tout à la fois la colonisation,
l’esclavage, la corruption des gouvernements africains en place, le FMI, la
Banque mondiale, les accords de partenariat économique avec l’Europe etc.
Un certain nombre d’auteurs du livre soulignent avec raison qu’un discours
comme celui-ci n’aurait pas pu être prononcé au Maghreb. Ils soulignent qu’ils
auraient préféré entendre à Dakar un discours de confiance et de respect comme
celui prononcé par Nicolas Sarkozy à Alger en décembre 2007, discours dans
lequel le président français proposait à l’Algérie « un partenariat d’exception
».