L’Algérie un an après

Deux légitimités s’affrontent en Algérie, un an après la naissance du vaste mouvement de protestation qui a conduit au départ de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. La première est celle de la rue, qui continue, au fil des mois, d’exiger un changement de régime et d’appeler à la conquête d’une « nouvelle indépendance », près de soixante ans après la fin de la guerre contre la France et la proclamation de l’indépendance nationale. La seconde est celle du successeur d’Abdelaziz Bouteflika, le président Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre 2019, qui promet une « Algérie nouvelle » et se dit porteur d’un projet ambitieux de « renouveau ».

Entre ces deux forces politiques, celle des manifestants, dont la mobilisation ne faiblit pas, et celle du pouvoir en place, qui affiche sa bonne volonté sans convaincre les contestataires, la méfiance est profonde et l’incompréhension durable. Du côté du président Tebboune, on fait valoir que les demandes des protestataires ont été entendues puisqu’Abdelaziz Bouteflika a été écarté, que son successeur a été choisi démocratiquement, que ses proches, à commencer par son frère, Saïd Bouteflika, ont été traduits en justice et que le plan d’action récemment adopté par le gouvernement a pour objectif de répondre aux revendications de la rue.

Du côté du mouvement populaire, le « Hirak », on estime que les quelques gestes consentis par Abdelmadjid Tebboune ne suffisent pas, que l’élection présidentielle n’était qu’une mascarade, que les libertés ne sont pas respectées et qu’au fond le « système » est resté le même, c’est-à-dire dominé par les militaires. Le combat continue, proclament les contestataires, qui ne croient pas aux engagements du nouveau président. Un an après, comme le dit un manifestant interrogé par Le Monde en Petite Kabylie, « on n’est pas venus célébrer, on est venus pour que vous partiez ». « Il faut qu’on tienne le coup, lance un autre, parce qu’en face ils n’ont pas l’intention de lâcher prise ».

Les deux camps restent sur leurs positions. Le président algérien a lancé le chantier attendu de la réforme de la Constitution et fait de la lutte contre la corruption sa priorité. Il affirme qu’il a compris le message de la rue : il sera l’homme de la rupture. Mais il est aussi l’homme de la continuité, et c’est sans doute sa principale faiblesse : pendant sa campagne présidentielle, il a salué l’armée comme la « colonne vertébrale » du pays et ne semble pas prêt à diminuer ses prérogatives. Le Hirak n’entend pas s’en laisser conter : il exige que le régime cesse de s’appuyer sur les militaires pour devenir véritablement civil. C’est sa principale revendication : il n’acceptera pas d’y renoncer. Mais sa faiblesse à lui est son absence d’organisation et de structuration, qui l’empêche de se donner des porte-parole capables d’ouvrir une négociation.

Pour le moment, c’est donc l’impasse. Comment en sortir ? On ne voit guère d’autre solution que de discuter de la place de l’armée dans le fonctionnement de l’Etat et de négocier son retrait progressif. Ce ne sera pas facile. En Algérie, les militaires n’ont cessé d’être aux commandes depuis 1962 derrière la façade d’un gouvernement civil. Peut-on faire évoluer le système ? L’exemple qui vient à l’esprit est celui des anciennes dictatures d’Amérique latine, où les militaires ont quitté le pouvoir au moment de la transition démocratique, même s’ils ont tendance aujourd’hui à y retourner, au moins dans certains Etats, comme le Brésil de Bolsonaro ou le Venezuela de Maduro. Entre les manifestants qui demandent aux militaires de retourner dans leurs casernes et les successeurs d’Abdelaziz Bouteflika qui hésitent à rompre avec les anciennes pratiques, un compromis est nécessaire.