L’Allemagne va-t-elle sauver l’Europe ?

Alors même qu’elle semblait en bout de course, à seize mois de la fin de son mandat, à la tête d’une « grande coalition » prête à se déchirer dans la perspective de sa succession, Angela Merkel est redevenue, à la faveur de la crise du coronavirus, la grande figure d’une Europe en mal d’unité, une Europe qui affronte la pandémie en ordre dispersé et cherche à retrouver les voies de la solidarité. La chancelière allemande sort renforcée de l’épreuve, à la fois parce qu’elle l’a traversée avec beaucoup de sang-froid, aidée sans doute dans sa communication par sa formation de scientifique, et parce que les résultats de l’Allemagne ont été jusqu’à présent meilleurs que ceux de ses voisins en termes de mortalité et d’efficacité du système de santé. Après avoir laissé à d’autres, notamment à Emmanuel Macron, les premiers rôles sur la scène européenne, Mme Merkel est de retour. Elle s’est remise au centre du jeu au moment où l’Union européenne joue une bonne part de sa crédibilité.
Le bilan des institutions européennes est mitigé mais il est loin d’être négligeable. Si la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, reconnaît que l’Europe, « déstabilisée par un ennemi inconnu », a pris un « mauvais départ » dans la lutte contre le coronavirus, elle ajoute qu’elle s’est ensuite redressée et qu’elle répond aujourd’hui « présent », travaillant « d’arrache-pied » pour « sauver le plus de vies possible » et « protéger le plus d’emplois possible ». Mme von der Leyen a raison : impuissante à coordonner, dans un premier temps, les politiques sanitaires des Etats membres, l’Union européenne a pris à bras-le-corps, dans un second temps, l’indispensable relance économique. Il lui reste toutefois du chemin à faire pour trouver un consensus entre les Etats membres. Elle s’y emploie avec énergie. « Quand cessera-t-on d’ânonner que l’Union européenne se délite et se meurt alors même qu’elle est peut-être en train d’entamer une nouvelle et décisive étape de son histoire ? », demande le député européen Bernard Guetta.

La question est précisément de savoir si les efforts entrepris par les Vingt-Sept pour surmonter la crise permettront à l’Union européenne de « renaître », comme l’écrit Ursula von der Leyen, en entrant dans une nouvelle phase de son histoire ? Mme Merkel, qui est à la manoeuvre sur le terrain du redressement économique de l’Europe, usera-t-elle de son autorité retrouvée pour aider l’UE à franchir le pas vers plus d’unité et de solidarité ? « Il n’y a pas que le virus qui est contagieux, affirme la présidente de la Commission, la solidarité aussi est contagieuse ». Cela reste à prouver, bien sûr. Au-delà des propos, dictés par les circonstances, il faut que la refondation tant attendue et tant promise s’appuie sur des actes. Le choc de la pandémie pourrait provoquer enfin ce nouvel élan qu’appellent tous les partisans de l’UE.

« L’heure n’est pas à blâmer les autres, déclarent dans un texte commun douze responsables du Mouvement européen, issus de douze Etats membres. C’est le moment de concentrer nos efforts, dans un esprit de compréhension mutuelle, pour construire une solidarité renforcée ». Il appartient aux gouvernements européens de sortir de leurs égoïsmes nationaux pour donner au mot de solidarité le contenu qui lui manque encore à l’échelle du Vieux Continent. La gravité de la pandémie et de ses conséquences pour l’Europe peut servir de déclencheur, après tant d’espoirs déçus, si l’Allemagne le veut bien. La bonne volonté ne suffira pas. « Loin d’être innée ou automatique, la solidarité européenne est le produit d’une construction politique, parfois édifiée à l’issue de longues tractations diplomatiques, mais aussi improvisée au moment de crises successives », souligne le président du Mouvement européen-France, Yves Bertoncini, sur le site de la Fondation Robert Schuman.

Avant de quitter le pouvoir, Mme Merkel, qu’un de ses alliés politiques, le ministre-président de la Bavière, vient de présenter comme « la voix internationale de la raison », saura-t-elle se montrer à la hauteur de cette tâche historique ? Une occasion se présente, qu’elle pourrait saisir si elle est vraiment disposée à agir : l’Allemagne exercera pendant six mois, à partir du 1et juillet, la présidence tournante de l’Union européenne. Le délai est bref et les pouvoirs de la présidence tournante limités. Mais ils offrent à un pays, surtout lorsqu’il s’agit d’une grande puissance comme l’Allemagne, la possibilité d’imposer un calendrier de travail à ses partenaires, de fixer l’ordre du jour de l’Union, de renforcer la coordination entre les Etats membres, de créer une dynamique positive. Pendant le second semestre de 2020 la chancelière aura donc les moyens de donner une forte impulsion à la construction européenne. Elle devra gérer la sortie de crise. Elle peut en profiter pour regarder au-delà du court terme et dessiner un nouvel avenir pour l’Europe.