La matinée du lundi 8 juillet restera comme un épisode particulièrement dramatique de la révolution égyptienne. Plus d’une cinquantaine de morts sous les balles de l’armée après que des groupes islamistes, de toute évidence menés par des milices armées, eurent essayé de prendre d’assaut une caserne dans laquelle, selon eux, l’ancien-président Mohamed Morsi serait détenu. Est-ce le début d’une guerre civile, comme beaucoup de révolutions dans le passé en ont connues avant qu’émergent de nouvelles institutions ? S’étonner que deux ans et demi après la chute d’un autocrate comme Hosni Moubarak l’instabilité et la violence persistent sur les rives du Nil, c’est ignorer les expériences de l’Histoire.
Deux forces d’égale importance se font face en Egypte mais il est trop simpliste de les caractériser comme démocrates et laïques d’un côté, islamistes de l’autre. Il existe des passerelles entre les deux que les Frères musulmans et le président Mohamed Morsi, issu de leurs rangs, n’ont pas réussi à fortifier afin de d’empêcher la confrontation qui se poursuit dans les rues des grandes villes. En janvier-février 2011, les révolutionnaires de la place Tahrir se sont retrouvés aux côtés des Frères musulmans qui avaient été persécutés sous le régime Moubarak. Mais cette alliance n’a pas survécu à la volonté affichée par la Confrérie de s’emparer de tous les leviers du pouvoir à la faveur de l’élection de Morsi à la présidence.
Sans doute, le chef de file des Frères bénéficiait-il d’une légitimité démocratique après avoir été élu avec 51,7% des voix en juin 2012. Aux élections législatives, les Frères musulmans étaient devenus le premier parti d’Egypte avec 44,6% des suffrages, devant les salafistes (22,5%). Cela ne signifie pas que les deux tiers des Egyptiens seraient favorables aux partis islamistes. D’une part les Frères et les salafistes n’ont pas les mêmes objectifs politiques ; d’autre part, la Confrérie a bénéficié de l’aura d’un parti persécuté sous le régime précédent et de son travail social pour attirer des électeurs qui ne sont pas nécessairement d’accord avec l’avènement d’un système fondé sur la religion. Les millions d’Egyptiens qui sont descendus dans les rues ces dernières semaines – on parle de 33 millions de manifestants sur une population de 84 millions –, pour protester contre l’hégémonie des Frères et leur incurie économique, en sont la preuve.
Comme depuis le coup d’Etat nassérien de 1952, le rôle de l’armée sera crucial au cours des prochains mois. En 2011, elle a soutenu les révolutionnaires de la place Tahrir. Elle vient de se retourner contre les Frères musulmans. Dépendant étroitement des Etats-Unis, elle devrait se donner pour mission de favoriser la stabilisation et la réconciliation entre les forces politiques, avant de retourner dans ses casernes. Une grande majorité des Egyptiens est favorable à un régime démocratique, fondé sur des élections libres, et libéral, respectant le pluralisme religieux et politique. Mais la « transition » connaîtra encore des soubresauts qu’on peut seulement espérer moins sanglants que ces derniers jours.