Le tableau de bord des pays d’Europe centrale et orientale, publié annuellement par le Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po sous la direction de l’économiste Jean-Pierre Pagé, fait apparaître pour l’année 2010 une forte résistance de ces pays à la crise. « Non seulement, explique Jean-Pierre Pagé, ils ne se sont pas effondrés comme on aurait pu le craindre, mais ils ont retrouvé en 2010 dans leur majorité une croissance, certes modeste, qui témoigne de la capacité de réaction de leurs économies ».
L’auteur fait observer que les Etats de la région se sont montrés « vertueux » dans le domaine des finances publiques puisque leur endettement public - - à la différence de leur endettement privé – et leurs déficits sont restés à des niveaux raisonnables. Pour ces pays, qui regardent avec sévérité les errements de la Grèce, le vrai clivage, souligne le politologue Jacques Rupnik, n’est pas entre l’Est et l’Ouest mais entre le Nord et le Sud. La Pologne, la République tchèque ou la Slovaquie s’estiment proches de l’Allemagne ou des pays scandinaves.
Face à la crise de l’euro, ils défendent des politiques de rigueur analogues à celles que recommande Angela Merkel. « Mettez de l’ordre dans vos finances publiques », lancent les Polonais à leurs partenaires européens. Il est vrai que la Pologne est le seul pays européen qui n’ait pas connu de récession en 2009. Peu pressée d’entrer dans la zone euro, elle estime, selon Jacques Rupnik, qu’il convient d’être « d’autant plus vigilant à l’Est qu’on a été laxiste au Sud ». Les Tchèques ne disent pas autre chose. Le président Vaclav Klaus n’a pas abdiqué sa méfiance à l’égard de toute forme de « fédéralisme rampant ».
Le retour de la droite libérale
Du point de vue politique, ces pays ont pour trait commun, note Jacques Rupnik, le retour de la droite libérale au pouvoir, après un intermède populiste. L’exemple le plus éclatant est celui de la Pologne, où le règne des frères Kaczynski a pris fin après la mort de l’un et l’échec de l’autre à l’élection présidentielle. Leur parti est désormais en recul. La Pologne a réorienté sa politique vers l’Europe, tout en établissant de nouvelles relations avec la Russie.
En République tchèque et en Slovaquie, la droite libérale l’a emporté en s’associant à des partis nouveaux créés sur le thème de la lutte contre la corruption et les déficits. La peur de la contagion grecque a joué en leur faveur. Seule la Hongrie se singularise, en Europe centrale, par un gouvernement de la droite conservatrice qui se démarque de la démocratie libérale.
Une forte dépendance à l’égard de l’Europe de l’Ouest
Toutefois la bonne tenue des pays d’Europe centrale et orientale ne doit pas dissimuler une dangereuse « faille », selon Jean-Pierre Pagé, qui résulte de leur « forte dépendance » vis-à-vis de l’Europe de l’Ouest. La reprise de leur croissance est en effet tirée exclusivement par les exportations, alors que leur demande interne demeure « atone ». Leurs économies, indique Jean-Pierre Pagé, ont plongé avec celles de l’Ouest, elles rebondissent aussi avec celles de l’Ouest. Or le rebond occidental reste fragile, ce qui représente pour l’Europe centrale et orientale un « risque élevé ».
L’exception est, une fois de plus, la Pologne, qui bénéfice d’une importante demande interne et d’exportations plus diversifiées, la Pologne qui, selon Jean-Pierre Pagé, apparaît aujourd’hui comme un pays « réellement émergent ». Jacques Rupnik salue le retour de la Pologne sur la scène internationale tandis que Jacques Sapir, spécialiste de la Russie, souligne que « pour la première fois depuis 1918, la Pologne n’a plus de conflit ni à l’Ouest ni à l’Est ». C’est, dit-il, « un événement de portée historique » pour la sécurité du continent européen.