Au moment où Nicolas Sarkozy affirme solennellement que la fin de l’euro serait la fin de l’Europe, l’Estonie, l’un des plus petits pays de l’Union européenne, donne une éclatante démonstration de confiance dans la monnaie unique en devenant, le 1er janvier 2011, le dix-septième Etat de la zone euro. Après la Slovénie et la Slovaquie, elle est le troisième pays de l’ancienne zone communiste, et le premier de l’ex-Union soviétique, à adopter l’euro.
Pour le plus septentrional et le moins peuplé (1,3 millions d’habitants) des Etats baltes, que singularisent ses affinités avec les pays nordiques, en particulier la Finlande, dont il est proche géographiquement, c’est l’aboutissement d’un processus d’adhésion à l’Europe, ou plutôt à l’espace euro-atlantique, qui l’a conduit à entrer en 2004 dans l’OTAN et dans l’Union européenne, en 2007 dans l’espace Schengen et en 2010 dans l’OCDE. Il est devenu en quelques années, selon la formule de l’économiste et chroniqueur Paul Krugman, le symbole de la transformation d’un pays passé du statut de province soviétique à celui de bon citoyen européen.
Le premier ministre, Andrus Ansip, a commenté l’événement avec humour, à la manière de l’astronaute américain Neil Armstrong, en saluant « un petit pas pour la zone euro mais un grand pas pour l’Estonie ». Les deux autres Etats baltes – la Lettonie et la Lituanie – devraient accomplir ce geste en 2014. En revanche, les trois grands Etats d’Europe centrale anciennement communistes, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, préfèrent se tenir à l’écart de la monnaie unique.
Un acte de foi
Pour l’Estonie, l’entrée dans la zone euro est d’abord un acte de foi dans la monnaie européenne, alors que celle-ci est contestée de toutes parts et que sa solidité est largement remise en question. Le nouvel entrant espère que l’adoption de l’euro donnera un coup de fouet à son économie, en mettant fin aux spéculations sur d’éventuelles dévaluations, en réduisant le coût des transactions, en relançant l’investissement. En parachevant son intégration au marché unique, l’Estonie fait le pari d’une Europe solidaire face à la crise.
La crise, l’Estonie en a payé le prix. Elle a subi une sévère récession et s’est imposé une brutale cure d’austérité, que les Estoniens, apparemment habitués aux rigueurs de l’ère soviétique, ont acceptée sans trop protester. Aujourd’hui le pays, malgré un chômage élevé, donne des signes de reprise. Il prévoit une croissance d’environ 4 % en 2011. Son déficit est égal à 1,3 % du PIB, sa dette à 8 %, la plus faible de l’UE. En rejoignant les seize Etats de la zone euro, il confirme son engagement résolu en faveur d’une économie libérale.
Loin de Moscou
Au-delà de l’enjeu économique, c’est l’enjeu politique qui compte pour l’ancienne République soviétique. La voici qui s’éloigne encore un peu plus de la Russie en se liant plus étroitement à l’Union européenne. Ancienne possession russe devenue indépendante entre les deux guerres puis retombée en 1945 sous le joug de Moscou, l’Estonie a choisi de s’ancrer fermement à l’Ouest. Elle le fait en entrant dans la zone euro malgré les avertissements de ceux qui lui déconseillent d’acheter « le dernier billet à bord du Titanic ». Même Paul Krugman, dans le New York Times, lui adresse à la fois ses félicitations et...ses condoléances.
La monnaie unique n’est pas morte, répondent les Estoniens. Il est vrai qu’elle est plutôt mal en point et que les décisions des Vingt-Sept ne mettent pas encore l’Europe à l’abri de la contagion venue de Grèce puis d’Irlande. Le Conseil européen n’est pas allé jusqu’à autoriser l’émission d’obligations européennes, comme le souhaitait le président de l’eurozone, le premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Il n’a pas non plus voulu augmenter les fonds du mécanisme de stabilisation. Mais l’Estonie estime que le salut viendra des Etats eux-mêmes s’ils acceptent de se soumettre à la discipline nécessaire au redressement de leurs comptes publics. Et elle montre l’exemple.