L’Europe a du mal à cacher ses divisions sur la Syrie

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Hubert Védrine a coutume de dire : l’Europe ne se divise pas, elle est divisée. L’attitude vis-à-vis du conflit syrien en apporte une nouvelle démonstration. Il a fallu aux vingt-sept ministres des affaires étrangères et à Mme Catherine Ashton, Haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité, plus de 13 heures de débat pour se mettre d’accord sur un désaccord. Certains voulaient renouveler l’embargo sur les livraisons d’armes à la rébellion contre Bachar el-Assad, d’autres voulaient y mettre fin – en première ligne la France et la Grande-Bretagne. L’embargo n’a finalement pas été renouvelé mais les Etats qui sont prêts à livrer des armes aux insurgés se sont engagés à respecter des conditions très strictes, la première étant qu’aucune livraison ne doit avoir lieu avant le 1er août. L’objectif officiel : donner une chance de succès à la conférence dite « Genève 2 » qui sera organisée au mois de juin par les Etats-Unis et la Russie, avec, en principe, la participation des divers belligérants.

Les Russes qui continuent de fournir sans vergogne des armes au régime de Bachar el-Assad ont dénoncé le non-renouvellement de l’embargo européen comme contraire à la bonne marche de « Genève 2 ». Cette indignation feinte ne les empêche pas d’annoncer la livraison de missiles sol-air S-300, en expliquant que ces armes vont aux « autorités légitimes » de la Syrie et qu’elles sont uniquement « défensives », pour empêcher une intervention aérienne des puissances occidentales.

En fait les enchères montent à l’approche de la conférence dont on ne sait pas encore si elle accueillera des représentants de l’opposition. Les diverses tendances de cette dernière sont réunies depuis plus d’une semaine dans un grand hôtel d’Istanbul pour tenter de définir une ligne commune. La plus grande confusion règne sur le sujet de la conférence.

Contrairement à ce que disent les Russes, la perspective de livraisons d’armes aux rebelles syriens pourrait renforcer la tendance « modérée » de l’opposition qui se sentait de plus en plus abandonnée par les Occidentaux. Dans le même temps, les groupes djihadistes reçoivent du matériel de certains pays arabes, dont le Qatar, et acquièrent ainsi une influence grandissante aux dépens des « laïques ». Si l’opposition se sent plus forte et mieux soutenue, elle sera d’autant plus encline à participer à une conférence où elle aura moins de risques de se retrouver en position de faiblesse face aux représentants du régime de Bachar el-Assad et à leurs soutiens.

La décision de l’Union européenne, approuvée par les Etats-Unis, constitue aussi un signal à l’adresse de Moscou. Les Occidentaux ne semblent pas prêts à accepter n’importe quelle solution du conflit syrien, notamment le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad lui-même, qui équivaudrait à une défaite des insurgés. Si « Genève 2 » ne débouche pas sur un résultat équilibré, les Occidentaux sont disposés à jouer d’autres cartes, dont celle du soutien militaire ouvert à l’opposition « modérée ». Tel est le message.

Pour les partisans de la levée de l’embargo c’est une manière de tenter de regagner un peu du terrain diplomatique perdu ces derniers mois au profit de la Russie. Moscou a en effet réussi à se replacer au centre du jeu et à se mettre en mesure d’offrir une issue à son allié Assad. Il est regrettable que les partisans européens du maintien de l’embargo ne l’aient pas compris. Ils continuent de penser que les appels de bonne foi à une solution négociée suffisent à ébranler, sinon le dictateur syrien, du moins les responsables russes. C’est le contraire qui est vrai. Et la désunion, même masquée de l’UE, ne peut que réjouir Moscou.