Trois scrutins, qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, dans trois Etats membres, donnent une image éclatée de l’Union européenne. L’Irlande, vieux pays catholique, est le premier à avoir autorisé le mariage homosexuel par le suffrage populaire. Il y a quelques années, les Irlandais se méfiaient de l’Europe parce que celle-ci menaçait de les obliger à adopter des réformes de société allant à l’encontre de leurs traditions et de leurs valeurs conservatrices.
A l’ouest, il y a donc du nouveau quand les Irlandais votent à 60% en faveur du mariage pour tous. A l’est aussi, mais la tendance est inverse. En Pologne, à l’occasion de l’élection présidentielle, le sortant libéral Bronislaw Komorowski a été, contre toute attente, battu par le candidat de la droite conservatrice Andrzej Duda. Inconnu il y a seulement quelques mois, ce dernier est la figure avenante du parti nationaliste créé par les frères Kaczynski. Il n’en professe pas moins des idées eurosceptiques, à la fois politiques – hostilité à l’euro – et sociales, contre les droits des femmes, par exemple.
Les voisins allemands de la Pologne s’inquiètent. Les frères Kaczynski – le jumeau Lech était président quand il est mort dans un accident d’avion à Smolensk – s’étaient distingués par des diatribes anti-allemandes. Elles avaient tendu les relations entre les deux pays alors que des deux côtés des efforts couronnés de succès ont été faits pour réconcilier les deux peuples, comme l’ont été les Français et les Allemands.
Au sud, les observateurs parlent d’un « véritable tremblement de terre » politique avec le succès aux élections municipales et régionales en Espagne de deux mouvements apparus récemment aux dépens des partis établis, le Parti populaire à droite et le PSOE (socialiste) à gauche. A Madrid et à Barcelone, les héritiers des Indignés qui ont occupé les places espagnoles en 2011 en protestation contre les conséquences de la crise ont de bonnes chances, avec l’appoint des socialistes, de désigner le premier des édiles. En l’occurrence deux femmes, Manuela Carmona, dans la capitale espagnole, et Ada Colau, dans la capitale catalane.
A Madrid, Madrid Ahora, l’alliance autour de Podemos a fait jeu égal avec le Parti populaire qui gérait la mairie depuis 1991. A Barcelone, En Comu, a gagné un siège de plus que le parti conservateur indépendantiste du maire sortant. « Si se puede ! », un « Yes, we can » à la castillane, scandaient les manifestants de Madrid pour exprimer leur joie. Au niveau national, Ciudadanos, une nouvelle formation centriste, est devenue la troisième force du pays avec 6,5% des voix, pour sa première apparition dans une élection. Ces élections locales sont-elles une répétition pour les élections générales de l’automne ? L’Espagne est-elle sur le chemin de la Grèce où la gauche radicale Syriza a gagné le pouvoir en janvier ?
C’est possible. Ce n’est pas sûr. Les électeurs ne se comportent pas nécessairement de la même façon quand il s’agit de désigner des dirigeants locaux et quand le gouvernement central est en jeu. Mais il n’en reste pas moins que les deux partis qui alternaient au pouvoir depuis la fin du franquisme voient leur domination sur la vie politique espagnole contestée. Ils sont tenus pour responsables de la crise et de ses conséquences sociales que la reprise macro-économique n’a pas adoucies.
Coup de barre politique à gauche en Espagne, retour conservateur et nationaliste en Pologne, bouleversement des mœurs en Irlande… les Etats européens cheminent dans des directions opposées. On peut s’en étonner après plusieurs décennies de vie commune. On peut aussi se rassurer en prenant acte de la diversité. Un atout certes, mais difficile à gérer.