L’Europe après la crise géorgienne

La crise géorgienne de l’été 2008 a pu faire croire que l’Europe disposait désormais des moyens d’une véritable influence, mais cet espoir a été de courte durée. Il faudra sans doute d’autres cataclysmes pour que les Européens prennent en mains leur communauté de destin.

Suite au conflit russo-géorgien de l’été 2008, si la réaction diplomatique de la Présidence française de l’UE fut largement saluée, elle fut tout autant critiquée pour n’avoir consulté que quelques Etats-membres dans un cadre intergouvernemental, voire purement gouvernemental, qui s’accommode mal des us et coutumes bruxellois. L’UE constatait pour la énième fois depuis l’éclatement de la Yougoslavie en juin 1991 qu’afin de réagir à une crise sur son propre continent, et d’avoir ainsi une chance de peser sur son issue, elle devait passer outre certaines procédures, tel l’établissement d’un mandat strict de négociation, et s’appuyer sur un directoire informel des grands Etats, quitte à marginaliser le Haut Représentant de l’UE Javier Solana.

Tirant parti de la Présidence de l’UE, la France sut s’en affranchir afin de sceller un accord de cessez-le-feu avant que ne ressurgissent d’inéluctables divisions européennes. L’urgence de la situation l’exigeait. Le mal était fait, et les chars se sont arrêtés là où le Kremlin en avait décidé. Mais en l’absence d’une réaction de l’UE, Moscou aurait pu pousser ses colonnes jusqu’à Tbilissi, intensifier ses bombardements, ou encore laisser le champ libre aux milices. Les faiblesses du compromis obtenu sur l’intégrité territoriale géorgienne en furent le prix. Les négociateurs ne pouvaient s’offrir le luxe d’une exégèse des objectifs russes, à laquelle il est désormais grand temps de se livrer. En dernière analyse, ce coup de griffe relève-t-il davantage du retour ou d’une fuite en avant de l’ours russe ? Reste qu’après l’accord du 12 août, l’UE montait une mission civilo-militaire, l’UEMM, déployant plus de 200 observateurs au 1er octobre, tandis que ses Etats membres acheminaient leur aide humanitaire, tout comme l’ONU, l’USAID, mais aussi les destroyers de la Marine américaine qui croisaient en Mer Noire…

La crise géorgienne a porté un coup aux révolutions colorées et à un prétendu soft power américain aux marches de la Russie. Cet échec témoigne des limites d’une stratégie américaine avant tout médiatico-électorale, certes efficace dans la conquête du pouvoir, mais bien incapable de créer ex nihilo des corps intermédiaires pourtant nécessaires à la viabilité de tout nouveau régime. Faute de pouvoir opposer un hypothétique soft power russe aux ONG occidentales soutenues par la CIA, le FSB n’a eu qu’à laisser pourrir la situation et attendre le dérapage de Sakaachvili.

Impuissance européenne

Si un facteur a, sinon mis fin à la crise géorgienne, car elle perdurera, mais du moins convaincu les Russes d’adopter un ton plus constructif, c’est tout bonnement la crise financière qui lui a immédiatement succédé, et dont les conséquences se sont vite avérées particulièrement funestes pour les intérêts du Kremlin – privés et publics s’entend.

Au même moment, l’UE perd véritablement la main qu’elle a brièvement cru tenir à la fin de l’été 2008, constatant une nouvelle fois la difficulté qu’elle a à réformer son fonctionnement interne afin de mieux traduire son poids économique en influence politique dans le monde, a fortiori en Europe même. Le spectre de la division et de l’impuissance continuera à la hanter tant qu’elle restera prisonnière d’une sempiternelle dialectique élargissement - approfondissement. Pour que l’Union se politise, condition sine qua non à son maintien, il lui faut tout bonnement des représentants politiques, de surcroît soutenus – paradoxe apparent – par leurs Etats d’origine. Les campagnes qui s’ouvrent en vue des élections au Parlement européen de juin prochain augurent mal de tels engagements, particulièrement en France.