L’Europe après le ’’oui’’ irlandais

Le « oui » irlandais au traité de Lisbonne ne met pas un point final au tumultueux processus de ratification du texte réformant les institutions européennes. Deux Etats – la Pologne et la République tchèque – n’ont pas encore donné leur accord. Leurs deux présidents refusent en effet d’apposer leur signature au document, malgré le vote positif des deux Parlements.

En Pologne, Lech Kaczynski, qui avait explicitement subordonné son approbation au résultat du référendum irlandais, devrait logiquement lever son blocage mais en République tchèque Vaclav Klaus ne paraît pas prêt à céder. Un groupe de députés proche de ses idées vient même de déposer un nouveau recours pour retarder la décision, dans l’espoir d’une victoire conservatrice à Londres, au printemps prochain, qui pourrait entraîner l’organisation d’un référendum britannique dont tout porte à croire qu’il conduirait au rejet du traité.

Au lendemain du scrutin irlandais, la ratification est donc loin d’être acquise puisqu’elle suppose l’accord des vingt-sept Etats membres. Il n’en reste pas moins qu’un pas important a été franchi : la nette victoire du « oui » en Irlande lève l’obstacle sans doute le plus difficile à la mise en oeuvre du nouveau traité.

Les trois raisons du « oui »

Pourquoi les Irlandais ont-ils dit « oui » seize mois après avoir dit « non » ? Pour trois raisons au moins. 

D’abord parce que Dublin a obtenu de ses partenaires européens des garanties sur les quelques grandes questions qui avaient suscité l’inquiétude des électeurs et motivé leur refus : le traité de Lisbonne n’imposera pas à l’Irlande l’abandon de sa neutralité ; il ne l’obligera pas à autoriser l’avortement ni à modifier sa fiscalité ; et il ne lui fera pas perdre son poste de commissaire européen.

Ensuite parce que la campagne en faveur du « oui » a été menée par les autorités irlandaises d’une manière beaucoup plus active qu’en 2008 alors que la campagne du « non » a manqué de dynamisme, notamment après l’échec de son principal porte-parole, Declan Ganley, aux élections européennes de juin. 

Enfin et surtout parce que la crise économique est passée par là, qu’elle a frappé le pays de plein fouet et que les Irlandais, qui pensaient pouvoir se passer de l’Europe quand ils étaient au faîte de leur prospérité, considèrent désormais qu’il vaut mieux pour eux rester étroitement liés à leurs partenaires européens.

Une victoire politique pour l’Europe 

Au-delà du cas particulier du traité de Lisbonne, cette confiance retrouvée est une victoire politique pour l’Europe. Elle montre que le sentiment de la solidarité communautaire n’est pas mort, notamment face aux difficultés économiques, et que le projet fondateur de la construction européenne n’a pas perdu son sens. Le rejet du traité n’empêcherait pas l’Europe de fonctionner, comme elle le fait, tant bien que mal, aujourd’hui. Mais, en renforçant le syndrome d’échec qui l’affecte depuis plusieurs années, il donnerait un sérieux coup de frein à ses capacités d’initiative.

Les innovations institutionnelles qu’apportera le traité de Lisbonne, s’il entre en vigueur, ne sont pas négligeables. La création d’une présidence permanente, qui remplacera les présidences tournantes, donnera à l’Europe plus de poids dans le monde ; l’extension du vote à la majorité qualifiée facilitera les prises de décision communautaires ; et l’accroissement des pouvoirs du Parlement comblera en partie le « déficit démocratique » de l’Union.

Toutefois les mécanismes institutionnels ne sauraient se substituer à la volonté politique, qui reste le facteur décisif. Au demeurant, certains grands Européens, comme Jacques Delors, expriment de fortes réserves à l’égard de la future présidence permanente qui risque, selon eux, d’affaiblir la Commission et de rendre encore plus compliquée la gouvernance de l’Union.

Quoi qu’il en soit, il est temps pour l’Europe d’en finir avec un débat institutionnel qui mobilise une trop grande part de son énergie. Il lui faut désormais consacrer tous ses efforts aux autres tâches qui requièrent son attention, telles que la relance économique, la lutte contre le changement climatique ou la gestion des relations internationales. Le « oui » irlandais lui ouvre de nouvelles perspectives.