L’Europe, dedans et dehors

Par une heureuse coïncidence, les Ukrainiens ont voté pour élire un nouveau président le même jour, le dimanche 25 mai, où les citoyens de l’Union européenne choisissaient leurs députés. Ils ont désigné dès le premier tour à une large majorité (54%) un candidat, Petro Porochenko, qui fait du rapprochement avec l’Europe le centre de son programme. Comme ses concurrents d’ailleurs, car tous voulaient être au diapason des manifestants de la place Maïdan à Kiev qui se sont mobilisés au moment où l’ancien président Viktor Ianoukovitch tournaient le dos à l’Europe sous la pression de la Russie. Dans un pays en proie à des affrontements entre des sécessionnistes et l’armée, menacé par le chantage d’un grand voisin qui vient d’annexer une de ses provinces, l’UE est un espoir.
A l’intérieur de l’Union européenne, l’heure est à déception, au repli, à la méfiance. Chez beaucoup des vingt-huit Etats membres, les eurosceptiques, pour ne pas dire les europhobes, ont gagné des sièges. Ils seront plus nombreux que jamais au Parlement de Strasbourg. Certes ils sont loin d’avoir la majorité qui reste aux partis favorables à la poursuite de l’intégration européenne, même si beaucoup veulent « une autre Europe ». Mais dans deux des principaux pays de l’UE, la France et la Grande-Bretagne, ce sont le Front national et UKIP, qui ont donné le ton de la campagne. Ces deux formations europhobes l’ont emporté sur le parti au pouvoir et sur le parti principal de l’opposition.
Une des raisons de cette déroute tient à l’incapacité des partisans de la construction européenne à développer un discours positif en faveur de l’Union. Les europhobes ont eu en face d’eux des « eurohonteux » réticents à défendre leurs convictions. C’est peut-être plus difficile en période de crise quand « Bruxelles » devient un bouc émissaire facile pour détourner l’attention des carences des gouvernements nationaux. Il faut alors se tourner vers les Européens hors de l’Union européenne pour trouver des preuves d’optimisme. En Ukraine justement. A la question « vous êtes sûr que vous voulez vraiment aller vers l’Europe ? », Vitali Klitschko, un des héros de Maïdan qui venait d’être élu maire de Kiev, a répondu : « Oui, parce qu’au moins, en France, vous pouvez prendre des déculottées ! » Traduction plus politique : les partis et les hommes politiques peuvent gagner mais aussi perdre des élections. L’alternance est le principe de base de la démocratie et de l’Etat de droit. Plus encore que la prospérité économique, ce sont ces principes qui attirent les Ukrainiens quand ils regardent vers l’Union européenne. Ce sont eux qui ont attiré vers elle les pays d’Europe centrale et les Etats baltes après la dissolution du camp soviétique. Et qui animent les candidats à l’adhésion. En crise, l’UE ne peut pas tous les accueillir et risque ainsi de provoquer des déceptions. Mais réfléchir sur les raisons de cet attrait persistant serait, pour les citoyens de l’Union européenne, un excellent remède contre la déprime.