L’Europe en quête d’une politique d’immigration

Les Européens ont à l’égard de l’immigration une approche ambiguë. Ils s’inquiètent de l’afflux de demandeurs d’asile et de chercheurs d’emploi à leurs portes mais ils savent aussi que leur démographie déclinante rend nécessaire, même en période de chômage, l’arrivée de travailleurs venus d’ailleurs et que leur système de valeurs, fondé sur l’humanisme et l’accueil de l’autre, leur impose d’ouvrir partiellement leurs frontières.

Les drames de Lampedusa sont révélateurs de cette dualité. D’une part, la détresse de ces immigrants qui risquent leur vie pour accéder aux côtes italiennes attise la mauvaise conscience de ceux qui ont la chance d’être du bon côté de la barrière. De l’autre, comme l’Europe, selon la célèbre formule de Michel Rocard, ne peut pas accueillir toute la misère du monde, elle fait peu d’efforts pour organiser l’immigration légale. Dans plusieurs Etats, des mouvements xénophobes se développent même avec succès en faisant de la lutte contre l’immigration, légale ou non, leur fonds de commerce.

Il y a beaucoup d’hypocrisie dans les lamentations qui accompagnent les naufrages de candidats à l’immigration alors même que tout est fait pour les empêcher d’aborder aux rives européennes. Mais en même temps l’émotion est réelle face à ces tragédies à répétition. L’affaire Léonarda en France suscite des sentiments comparables. Les Français semblent partagés entre la compassion envers une jeune fille expulsée après avoir été appréhendée dans un car scolaire et le rejet d’immigrés clandestins dont la justice a refusé tous les recours. La décision prise par François Hollande d’autoriser le retour de la collégienne, mais non celle de sa famille, au risque de mécontenter tout le monde, est typique de ce balancement.

Qu’elles se règlent à l’échelle nationale, comme l’affaire Léonarda, ou qu’elles appellent, en raison de leur ampleur et de leur complexité, une action commune des Européens, comme les drames de Lampedusa, les questions d’immigration font l’objet, depuis 2008, d’un Pacte européen pour l’immigration et l’asile, adopté à l’initiative de la France, Nicolas Sarkozy exerçant alors la présidence tournante de l’Union. Ce pacte, qui définit la politique des Etats membres, comporte cinq volets : organiser l’immigration légale, combattre l’immigration irrégulière, renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières, bâtir une Europe de l’asile, créer un partenariat global avec les pays d’origine et de transit.

En application de ces principes, les gouvernements européens, de droite comme de gauche, ont mis en œuvre une stratégie destinée à favoriser une meilleure maîtrise des migrations autour de deux grandes priorités. La première est de clarifier et de coordonner, à l’échelle européenne, l’immigration régulière dont les principaux outils sont l’immigration de travail, l’exercice du droit d’asile et le regroupement familial. La seconde est d’intensifier la lutte contre l’immigration clandestine, en assurant un contrôle plus strict des frontières extérieures de l’Union, y compris par des patrouilles en Méditerranée, en organisant l’éloignement des étrangers en situation irrégulière et en contribuant financièrement au développement des pays d’où ils viennent ou par lesquels ils ont transité. 

Or, depuis une dizaine d’années, il apparaît que la première de ces deux priorités a été largement sacrifiée à la seconde. Sans entrer dans le détail des dispositifs mis en place par les gouvernements européens, on peut affirmer que la lutte contre l’immigration clandestine, dont l’aspect le plus spectaculaire est l’expulsion des sans-papiers, l’a emporté sur l’organisation de l’immigration légale. Il n’est pas surprenant qu’en période de crise économique les opinions publiques, travaillées par des partis populistes en constante progression, s’alarment de la présence d’étrangers sur le territoire national. Mais le pacte européen pour l’immigration et l’asile était fondé sur un équilibre entre les mesures d’accueil et les mesures d’éloignement. Cet équilibre devait permettre de tenir compte à la fois des traditions d’hospitalité des démocraties et des peurs d’une partie des populations européennes. Sa rupture avive les tensions sans apporter de solution durable aux questions posées par l’immigration et sans apaiser les craintes de ceux qui la dénoncent.

Il est donc urgent de compléter le combat, indispensable, contre l’immigration clandestine par une réglementation réaliste de l’immigration légale, conformément aux décisions communautaires. La mobilité est une des valeurs de l’Union européenne. Elle ne saurait s’arrêter à ses frontières.