L’Europe et le ’’nouvel âge des empires’’

Pour Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, l’année 2008 a été une "année charnière" au même titre que 1989, année de la Chute du Mur de Berlin et du Rideau de Fer, ou même 1944-1945. Dans le nouveau monde multipolaire qui se dessine, l’Europe n’a pas encore trouvé sa place. Texte publié par l’association Notre Europe (http://www.notre-europe.eu/). 

Dans le courant de l’été 2008 sont survenus presque simultanément trois événements, tout aussi remarquables que marquants, qui – selon moi – peuvent être considérés comme des signes avant-coureurs (ou peut-être sont-ils la conséquence) d’une nouvelle régulation mondiale qui frappe à notre porte.

Les trois tournants de 2008

En août, la Russie a envahi l’Ossétie du Sud, ce qui, à la surprise générale, n’a pas tant démontré qu’elle se cramponnait toujours au Caucase du Nord, mais surtout qu’elle était de nouveau prête et capable d’afficher une politique énergétique agressive et de faire front sur le plan militaire après deux décennies de faiblesse et de désintégration.

Pendant ce même mois d’août, les Jeux Olympiques se sont ouverts en Chine, suivis un mois plus tard par la première sortie dans l’espace d’un astronaute chinois. Ces deux événements ont illustré le come-back impressionnant de cet immense pays en tant que grande puissance. Il est vrai que ce retour n’est observé pour l’instant que sur le plan économique. Je dis volontairement « pour l’instant » car il serait naïf de croire que la marche en avant de la Chine se limitera au niveau économique. Après l’économie, la montée suit inévitablement dans les domaines politique et militaire.

En septembre, peu après l’été, une violente crise financière a également éclaté. Bien que celle-ci couvait déjà depuis des mois aux Etats-Unis, le problème s’est aggravé lorsqu’une multitude d’institutions financières ont été contraintes de reconnaître qu’elles détenaient un ensemble de produits de crédits à très haut risque qui, de surcroît, n’étaient pas suffisamment couverts. (...) Une profonde crise économique sous la forme d’une récession mondiale reste difficilement évitable.

Le retour des "empires"

(...) Que nous le voulions ou non, nous assistons en quelque sorte à un retour des "empires", "un new âge des empires", une ère dirigée par une douzaine de "locomotives" régionales, c’est-à-dire des centres politiques et économiques efficaces ou potentiels, répartis aux quatre coins de la planète.

(...) Personne ne peut contester le fait que le monde est à un tournant de son histoire. La crise financière joue en quelque sorte le rôle de catalyseur sur la voie d’une nouvelle société multipolaire. Cela est manifeste sur le plan économique. Mais les grandes puissances commencent également à se bouger aux niveaux politique et militaire et à montrer le bout de leur nez. La Russie, la Chine mais aussi l’Inde ne manquent aucune occasion pour montrer au monde qu’il faut compter avec eux.

L’Europe et ses hésitations

La question est toutefois de savoir si l’Europe pourra ou voudra également jouer un rôle dans ce concert multipolaire. ‘Pouvoir’ ne doit pas poser de problème. ‘Vouloir’, c’est autre chose. L’Europe continue à souffrir de craintes injustifiées. Du côté européen, la crise financière a donné lieu à une réaction en chaîne d’interventions nationalistes de chacun des Etats membres. Mais, la tenue du Sommet européen mise à part, la réaction européenne s’est principalement limitée à des conclusions pleines de bonnes intentions. La voie que l’Europe doit quitter est cependant évidente. Si elle veut encore jouer un rôle dans le monde multipolaire de demain, si elle veut survivre au « new age des empires », cela passera par une nouvelle étape quantitative et décisive dans son intégration. Vue sous cet angle, la crise financière actuelle n’est pas une catastrophe mais une grande opportunité pour demain. Il appartient maintenant à nos responsables politiques de laisser de côté leurs craintes injustifiées et de faire le grand saut.