L’Union européenne est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Elle a déjà connu plusieurs étapes dans son développement - du Marché commun à la monnaie unique. Affaiblie par le départ du Royaume-Uni, elle s’est redressée pour se relancer sous la pression des événements. La pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont accru ses responsabilités et renforcé sa cohésion. Mais cette solidarité nouvelle ne s’est pas limitée aux relations entre les Etats membres, elle concerne désormais l’ensemble des pays du vieux continent, à commencer par l’Ukraine, qui a reçu le soutien actif de ses voisins et la promesse d’une adhésion future. C’est l’Europe tout entière qui franchit un nouveau seuil en se rassemblant face aux épreuves. Si l’on tient compte des pays des Balkans occidentaux, avec lesquels les négociations sont en cours, mais aussi de la Moldavie et des Etats du Caucase, qui se pressent aux portes de l’Europe, voire de la Turquie, avec lesquels les discussions sont aujourd’hui au point mort, un vaste élargissement se profile à l’horizon.
La question est de savoir si l’Union européenne telle qu’elle est peut accueillir, dans un délai raisonnable, une quinzaine d’Etats supplémentaires. Déjà le passage à 28 pays, puis à 27 après le retrait du Royaume-Uni, a profondément changé le fonctionnement de l’UE. Avec plus de 40 nations, c’est une nouvelle union qu’il faudra inventer pour assurer une bonne coopération entre des pays dont beaucoup ne sont pas prêts à renoncer à une partie de leur souveraineté pour se plier à des règles communes. On peut imaginer différentes formules, auxquelles les experts européens ont sans nul doute commencé à réfléchir. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : l’Europe élargie telle qu’elle se dessine dans le lointain ne ressemblera pas à celle qui se construit depuis plus de soixante-dix ans. Il est difficile de dire aujourd’hui ce qu’elle sera mais le bouleversement que subit le vieux continent est tel que le paysage géopolitique ne peut qu’en être radicalement modifié.
Une réunion par semestre
C’est dans cet esprit qu’a été créée, à l’initiative d’Emmanuel Macron, une nouvelle institution, la Communauté politique européenne, qui rassemble la quasi-totalité des pays d’Europe, à l’exception notable de la Russie et de la Biélorussie (cf. Boulevard Extérieur, éditorial du 16 octobre 2022, Les retrouvailles des Européens). L’idée a été lancée par le président français en mai 2022, une première réunion a eu lieu à Prague en octobre de la même année, la deuxième sera organisée dans quelques jours, le 1er juin, à Chisinau, capitale de la Moldavie. Le rythme d’une réunion par semestre a été retenu. Les suivantes devraient se tenir en Espagne puis au Royaume-Uni. La Communauté politique européenne a bien démarré. Il faut s’en réjouir. En effet, le pari n’était pas gagné. Plusieurs pays se sont interrogés sur l’utilité d’une nouvelle structure. Les candidats à l’Union européenne, en particulier, ont exprimé la crainte que la mise en place de la CPE ne serve qu’à retarder leur entrée dans l‘Europe des 27.
Le choix de Chisinau pour la deuxième réunion de la CPE est d’autant plus significatif que la Moldavie est sous la menace directe de la Russie et qu’il est important pour elle de pouvoir compter ses amis. Le dialogue sur la sécurité, qui est un des thèmes mis en avant par les promoteurs de la CPE, avec le climat et la santé, répond à la préoccupation majeure des Etats participants. Le nouveau cadre ne prétend pas se substituer à l’Union européenne mais plutôt à préparer les élargissements futurs. « L’UE ne peut pas être à court terme le seul moyen de structurer le continent européen », a déclaré Emmanuel Macron. Mais la CPE ne sera probablement pas sans effet sur le fonctionnement de l’UE. La difficulté sera d’articuler les deux structures sans que l’une ne cherche à l’emporter sur l’autre. La nouvelle structure doit assurer des liens durables avec l’Ukraine. Elle peut aussi favoriser le rapprochement avec le Royaume-Uni et avec la Turquie, deux puissances dont le poids est important en Europe.
La rencontre de Chisinau, le 1er juin prochain, apportera une première réponse à la question de savoir si ce nouvel espace de coopération politique est capable de donner à l’organisation du vieux continent l’élan dont il a besoin ou si les divisions entre Européens ne lui permettront pas de prendre son essor. On peut être relativement optimiste et penser, comme l’a écrit l’historien néerlandais Luuk Van Middelaar, qui fut le proche collaborateur de l’ancien président du Conseil européen Herman Von Rompuy, que la Communauté politique européenne « n’a rien d’un écran de fumée » mais est « une affaire de haute politique ».
Thomas Ferenczi