L’Irlande défend le droit des femmes

Avec la légalisation de l’avortement en Irlande, le combat pour le droit des femmes vient de franchir une étape importante en Europe. Au moment où les campagnes contre le harcèlement sexuel font progresser la cause des femmes, c’est un autre verrou qui saute dans le recherche d’une plus grande égalité et d’une plus grande justice. La législation irlandaise sur l’avortement était l’une des plus restrictives de l’Union européenne, malgré un léger assouplissement en 2013, la loi autorisant alors l’IVG en cas de risque pour la vie de la femme enceinte et remplaçant la peine de perpétuité par une peine de quatorze ans. C’est en 1983 qu’a été introduit, par référendum, sous l’influence d’une Eglise catholique toute-puissante, un amendement constitutionnel interdisant l’avortement, même en cas de viol ou de malformation de l’enfant, et empêchant toute libéralisation ultérieure.

Le peuple irlandais a choisi, vendredi 25 mai, d’abroger, par référendum, à une majorité de 66,4% des voix, ce huitième amendement qui rendait impossible toute forme de légalisation. Le gouvernement, qui était à l’initiative de la consultation, avait annoncé qu’en cas de victoire une nouvelle loi serait adoptée pour autoriser l’IVG sans justification pendant les douze premières semaines de grossesse, ce délai étant étendu à vingt-quatre semaines en cas de risque gave pour la santé de la femme enceinte. Les électeurs, en votant oui au référendum, ont ouvert la voie à cette libéralisation. Ils ont ainsi fait entrer leur pays dans le droit commun de l’Union européenne, après avoir approuvé il y a trois ans, à la surprise de beaucoup, le mariage homosexuel. Sur ces deux sujets, devenus l’objet de vifs débats, la société irlandaise, quoique massivement catholique, s’est montrée réceptive aux courants d’ouverture et de modernisation qui ont touché, avant elle, la plupart des pays d’Europe.

Un fait divers tragique a contribué au basculement de l’opinion et hâté sa prise de conscience. En 2012, une jeune femme était morte d’une septicémie à l’hôpital de Galway après qu’on lui eut refusé une IVG. Ce drame a frappé les esprits. Le constat selon lequel cinq mille femmes irlandaises avortent chaque année, soit en se rendant en Angleterre, soit en prenant des pilules abortives a également nourri la controverse. Mais ce que révèle surtout le vote du 25 mai, c’est la perte d’influence de l’Eglise catholique, une Eglise affaiblie par de nombreux scandales et en rupture avec l’évolution des mœurs. Les Irlandais n’hésitent plus à désobéir à ses consignes au nom de la liberté de choix. En 1983, lorsque fut adopté le huitième amendement, le poids du catholicisme était encore dominant. Il ne suffit plus à orienter les votes. Les évêques, qui en sont conscients, sont restés relativement discrets dans la campagne.
Le résultat du scrutin est aussi une victoire pour le jeune premier ministre (39 ans) Leo Varadker, qui avoue avoir lui-même changé d’avis sur la question avant de défendre le droit à l’avortement et qui a pris le risque d’organiser un référendum. Ce médecin dublinois, qui fut notamment ministre de la santé puis de la protection sociale avant de prendre la tête du gouvernement il y a un an, est le chef du Fine Gael, un parti de centre droit d’inspiration démocrate-chrétienne. C’est son expérience de médecin puis de ministre qui l’a, dit-il, conduit à évoluer et à mieux écouter les femmes. Sa vie personnelle - fils d’immigré indien, il est ouvertement homosexuel – a sans doute développé chez lui un esprit de tolérance.

A rebours des populismes qui défendent dans plusieurs pays d’Europe une vision conservatrice de la famille, opposée aussi bien à l’avortement qu’au mariage pour tous, l’Irlande, en votant pour une légalisation de l’IVG, fait siennes les valeurs des démocraties libérales. Ces valeurs s’expriment en particulier par la promotion du droit des femmes. Les électeurs irlandais l’ont compris. « Le peuple a parlé, a déclaré Leo Varadker. Il veut une constitution moderne pour un pays moderne ». L’Irlande accomplit sous nos yeux, selon les mots du premier ministre, une « révolution tranquille ». Elle donne aux Européens une leçon de confiance et de liberté.