L’Islande, de la crise à l’Europe ?

En affirmant au Guardian que l’Islande pourrait rejoindre l’UE dès 2011, la commissaire à l’élargissement Olli Rehn est peut-être allée un peu vite. Si l’Islande, particulièrement touchée par la crise, traverse une période difficile sur le plan politique et social, et s’interroge à nouveau sur ses rapports avec l’Europe, l’euro et le marché intérieur, il n’est pas sûr que la solution finalement retenue soit l’adhésion pure et simple.

La commissaire européenne justifie cette grande rapidité dans les perspectives d’adhésion par le fait qu’il est « préférable que deux pays rejoignent l’UE en même temps plutôt qu’individuellement », et que dès lors l’Islande pourrait profiter de l’adhésion de la Croatie prévue en 2011 pour intégrer l’UE. Les négociations pourraient être d’autant plus facile que l’Islande applique déjà 98% de « l’acquis communautaire », une des conditions essentielle à l’adhésion. Autre élément de nature à faciliter ce processus habituellement long, les Tchèques et les Suédois, assurant cette année la présidence de l’UE, sont des partisans déclarés de l’élargissement. 

Ce serait toutefois une erreur de considérer cette adhésion comme acquise. D’abord car il n’est pas certains que tous les pays européens y soient immédiatement favorables, pour une raison ou une autre. La France continue de lier tout nouvel élargissement à la ratification du traité de Lisbonne, mettant ainsi la pression sur les Irlandais qui ont probablement d’autres motivations de vote que permettre ou non l’adhésion de leur voisin islandais. D’autres pays s’interrogent pour leur part, sans trop le déclarer publiquement, sur le bilan coût-avantage de cette opération, craignant que l’intégration de l’Islande n’apporte plus de passif que d’actif à l’économie européenne. L’insistance d’Olli Rehn sur les « atouts » qu’entraînerait l’adhésion du pays n’est pas étrangère à ces interrogations. 

Une opinion publique incertaine

Mais surtout, le débat sur cette adhésion est loin d’être clos car il n’est pas sûr que les Islandais eux-mêmes la souhaitent vraiment. L’Alliance sociale-démocrate, qui dirige la coalition à la suite du renversement du gouvernement conservateur et en l’attente d’élections législatives anticipées, souhaite certes cette adhésion et juge « essentielle » la tenue d’un référendum sur l’Europe le même jour que les élections, probablement fin mai. Mais au sein même de la coalition, certains de ses partenaires (dont les Verts) continuent de s’opposer à l’entrée de leur pays dans l’UE. Le débat s’annonce donc à la fois court et tendu.

Les lignes politiques semblent en fait bouger très rapidement en Islande. La violence de la crise (une récession de près de 10% ; un chômage qui passe de quasiment zéro à 8% ; une inflation à près de 20%) entraîne un désarroi certain. Pour ce pays qui avait encore en 2007 le PIB par habitant le plus élevé au monde, devoir s’accrocher à l’aide massive du FMI pour survivre et faire face à des émeutes tout à fait inédites, peut être de nature à changer un certain nombre de réflexes politiques.

L’euro sans l’UE ?

Mais dans quel sens, nul ne le sait. Pour l’instant, autant les Islandais semblent partisans d’abandonner leur monnaie au profit de l’euro, autant ils apparaissent beaucoup plus réticents quant à l’entrée de leur pays dans l’UE… Un sondage récent indique ainsi qu’à peine 38% des Islandais souhaitent adhérer à l’UE. Ce chiffre est même en forte baisse depuis quelques mois, puisqu’il était encore en octobre de 50%. En cause notamment l’emprise de Bruxelles sur un grand nombre des domaines et les règlementations que l’UE pourrait imposer dans le secteur, vital pour l’île, de la pêche. Pour surmonter ce paradoxe, d’aucuns prônent donc une « euroisation unilatérale » de l’économie Islandaise, c’est-à-dire l’utilisation de l’euro comme monnaie officielle sans pour autant être membre de l’UE, sur le modèle de la « dollarisation » de quelques économies, qui ont décidé unilatéralement de s’accrocher à la monnaie américaine. Ceci impliquerait de retirer à la Banque centrale sa fonction d’émission et son rôle de prêteur en dernier ressort, mais crédibiliserait en contrepartie les autorités monétaires dans un contexte de forte instabilité de la monnaie et pourrait enclencher un processus de désinflation. Bruxelles assure que c’est « un non-sens », ce à quoi les partisans répliquent qu’Andorre, le Kosovo et le Monténégro ont bien opté pour ce système et utilisent aujourd’hui l’euro comme monnaie nationale.

Les termes du débat ne sont en fait pas tout à fait nouveau dans l’île, ou une attirance envers la monnaie européenne se manifeste régulièrement de la part d’entreprises et de banques, dont certaines avaient même officiellement demandé à la Banque centrale islandaise de pouvoir utiliser l’euro comme monnaie de référence pour la tenue de leurs comptes. La demande avait été rejetée, mais un rapport publié en février 2008 sur les avantages et les inconvénients de « l’euroisation » de l’île avait remis cette question au goût du jour.

Bref, le débat n’est pas clos entre adhésion à l’UE, adhésion à l’euro avec ou sans accord formel, ou maintien de la couronne islandaise. Les autorités européennes pour leur part rappellent constamment que si l’Islande veut rejoindre l’euro, elle doit le faire dans les règles de l’art, c’est-à-dire après avoir rétabli son système financier, stabilisé sa monnaie et rempli les critères de Maastricht, comme tout le monde, et surtout après avoir adhéré à l’UE. Les déclarations d’Olli Rehn semblent indiquer que la Commission pousse en ce sens, mais in fine les 300 000 habitants de l’île pourraient bien avoir une idée différente sur la question.