L’Italie inquiète l’Europe

Déjà déstabilisée par le retrait programmé du Royaume-Uni et par les incertitudes politiques que connaît l’Allemagne, l’Union européenne va-t-elle subir un nouveau choc de la part d’un troisième « grand » Etat membre, l’Italie, au lendemain des élections législatives du 4 mars ? Beaucoup redoutent que le pays se révèle ingouvernable, faute d’une majorité claire, et que son engagement européen soit la principale victime d’un éventuel blocage.

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a invité l’Europe à se préparer au « pire scénario » possible, c’est-à-dire à l’absence d’un gouvernement « opérationnel ». S’il est revenu sur ses propos en affirmant avoir été « mal compris » et en se disant « confiant » dans la détermination de l’Italie à rester « un acteur central » en Europe, l’inquiétude est sensible à Bruxelles face aux nouveaux rapports de force qui pourraient se mettre en place à Rome.

Trois grands blocs s’affrontent pour tenter de conquérir, ou de conserver, le pouvoir. Le premier est la coalition des droites, dont les deux principales composantes sont Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, et la Ligue du Nord, dirigée par Matteo Salvini. Le deuxième est la mouvance social-démocrate, incarnée notamment par le président du conseil sortant, Paolo Gentiloni, et son prédécesseur, Matteo Renzi. Le troisième est le Mouvement 5 Etoiles, dont le chef de file est Luigi Di Maio depuis le retrait relatif de Beppe Grillo et qui refuse par avance toute alliance avec un autre parti.

Ces trois grandes forces se partagent l’électorat italien. Le problème est que, pour le moment, d’après les enquêtes d’opinion, aucune d’entre elles ne paraît en mesure de l’emporter assez nettement pour être appelée à former le nouveau gouvernement. D’où la crainte des Européens face à l’hypothèse d’un vide politique à Rome qui pourrait paralyser l’UE au moment où elle tente de relancer son action dans des domaines-clés pour l’Italie, tels que l’accueil des réfugiés, la défense commune ou l’avenir de la zone euro.

La coalition des droites est aujourd’hui, selon les sondages, la mieux placée pour gagner les élections. La dynamique est plutôt de son côté. Trois fois président du Conseil, Silvio Berlusconi, écarté du pouvoir depuis 2011, est de retour. Même s’il est inéligible en raison d’une condamnation pour fraude fiscale, il entend tenir le rôle de faiseur de rois. Il apparaît, face à une gauche en recul, comme le meilleur rassembleur de la droite. Mais il est concurrencé, au sein même de sa coalition, par Matteo Salvini.

Celui-ci a transformé la Ligue du Nord, devenue la Ligue, d’un parti régionaliste anti-italien en un parti populiste anti-européen et anti-immigrés. Sa popularité a fait un bond spectaculaire. Si la Ligue devance Forza Italia, c’est lui qui, en cas de victoire, sera choisi pour diriger le gouvernement. Un autre cauchemar pour l’Union européenne. Matteo Salvini a promis en effet d’organiser un référendum sur la sortie de l’euro. « La progression de l’euroscepticisme, explique le politologue Marc Lazar, est le grand changement historique de l’Italie ».

Le deuxième bloc, celui de la gauche, est aussi le plus européen. Mais la cote de Matteo Renzi, qui conduit la campagne, est en baisse. Sa politique de réformes a créé beaucoup de mécontentements. Son style personnel, cassant et parfois provocateur, l’a desservi. S’il s’est allié avec l’ancienne ministre et commissaire européenne Emma Bonino, des dissidents issus de son parti, le Parti démocrate, ont choisi de faire bande à part. Le meilleur atout de la gauche est sans doute la popularité du premier ministre sortant, Paolo Gentiloni.

Le troisième bloc est celui du Mouvement 5 Etoiles. Il approche les 30% dans les sondages, ce qui pourrait faire de lui le premier parti d’Italie, mais il s’est exclu lui-même de toute alliance. Toutefois son discours évolue. En quête de respectabilité, son dirigeant, Luigi Di Maio, serait prêt à se tourner soit vers les dissidents du Parti démocrate soit vers la Ligue pour conclure des accords. S’il reste eurosceptique, le Mouvement 5 Etoiles ne préconise plus une sortie de l’euro, donnant la priorité à la question de l’immigration.

A moins d’un sursaut du Parti démocrate, le résultat ne sera pas bon pour l’Europe. Certains imaginent une coalition à l’allemande, sur une base pro-européenne, entre le parti de Silvio Berlusconi et celui de Matteo Renzi. A Bruxelles, les maux de tête ne sont pas près de prendre fin.