L’Ukraine s’éloigne de l’Union européenne

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A quelques jours du sommet de Vilnius, qui devait consacrer le « partenariat oriental » proposé par l’Union européenne à ses voisins de l’Est, la soudaine dérobade de l’Ukraine porte un coup sérieux aux espoirs des Européens. L’Ukraine est en effet le plus important des six pays auxquels s’adresse le partenariat. Déjà trois d’entre eux - l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie – se tiennent à l’écart, pour des raisons diverses. Restent la Géorgie et la Moldavie, qui sont les seules à se dire prêtes à signer l’accord. Le retrait de Kiev vide donc d’une bonne part de sa substance l’initiative européenne, qui vise à établir un lien privilégié avec les Etats issus de l’ancien bloc soviétique pour favoriser leur intégration économique.

Le partenariat oriental s’inscrit dans le cadre de la « politique de voisinage » lancée par l’Union européenne en direction des pays situés à ses frontières à l’Est et au Sud. Une politique spécifique a été mise en place à l’intention des Etats du sud : c’est l’Union pour la Méditerranée, dont la France s’est faite, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le principal champion. Parallèlement, une action commune a été décidée en direction des Etats de l’Est, à l’initiative de la Pologne, soutenue par la Suède et par les anciens pays communistes : c’est le partenariat oriental, adopté en 2009 sous la présidence tchèque et qui devait se concrétiser en 2013 sous l’actuelle présidence lituanienne.

Le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, a choisi, sous la pression de Vladimir Poutine, de décliner la proposition européenne. Il l’a fait au dernier moment, à la surprise générale, après avoir tenté en vain de maintenir l’équilibre entre les Russes et les Européens. Les six Etats du partenariat, situés à la fois aux frontières de l’Europe et de la Russie, sont en effet l’objet d’une forte rivalité entre Bruxelles et Moscou. Face aux efforts de l’UE pour arrimer à l’Europe les pays de l’ancienne URSS, Vladimir Poutine cherche à les attirer dans une union douanière qui pourrait donner naissance à une « union eurasienne ». Pour le président russe, la décision de Kiev est donc un incontestable succès diplomatique.

L’Union européenne a regretté ce qu’elle appelle la « suspension provisoire » des négociations avec l’Ukraine. Dans une déclaration commune, le président du Conseil, Hermann Van Rompuy, et celui de la Commission, José Manuel Barroso, affirment que l’offre de l’Europe « est toujours sur la table ». Ils se disent conscients des « pressions extérieures » que subit l’Ukraine et invitent celle-ci à faire prévaloir ses intérêts à long terme sur les considérations de court terme. Condamnant « fortement » la position de la Russie, ils en appellent à la « volonté politique » des dirigeants ukrainiens.

Les manifestations de rue qui ont accueilli en Ukraine la décision de Viktor Ianoukovitch et qui ont rassemblé des dizaines de milliers de contestataires, inquiets d’une rupture avec l’Union européenne, encouragent ceux qui croient encore possible une relance du partenariat, dont l’un des points forts est la perspective d’un accord de libre échange. Mais beaucoup restent sceptiques. La présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, a estimé que le gel des relations entre l’UE et l’Ukraine pourrait durer « très longtemps ». Le refus du président ukrainien de libérer sa principale opposante, Ioulia Timochenko, maintenue en prison malgré les protestations européennes, témoigne, entre autres, de la détermination du président ukrainien.

Pour l’Union européenne, l’échec est d’autant plus douloureux que son pouvoir d’attraction hors de ses frontières est un de ses principaux atouts. Cette bataille perdue symbolise l’affaiblissement de sa présence sur la scène internationale. Les Européens ont sans doute sous-estimé l’efficacité de l’offensive menée par Vladimir Poutine pour maintenir sous sa tutelle les pays de son voisinage mais ils ont aussi surestimé la force de leur modèle politique et économique auprès des anciens Etats soviétiques. La crise a révélé les faiblesses de l’Union européenne alors même que les révolutions démocratiques marquaient le pas en Europe orientale. L’exemple européen a perdu une partie de sa séduction. Il appartient désormais à l’UE de retrouver le dynamisme qui lui a permis de jouer un rôle moteur sur le Vieux Continent. Au-delà du cas de l’Ukraine, c’est sa capacité d’influence qui est en jeu.