L’Union selon Sarkozy

Nicolas Sarkozy reçoit, lundi 5 décembre, Angela Merkel pour mettre au point les propositions communes franco-allemandes que Paris et Berlin devraient faire au prochain Conseil européen à Bruxelles, à la fin de la semaine. Dans son discours de Toulon, le président de la République a donné un aperçu de sa conception de l’Union européenne.

Il n’y a pas si longtemps, Nicolas Sarkozy ne voulait pas entendre parler d’une réforme des traités européens existants. Il estimait que les textes actuels suffisaient pour que les gouvernements puissent prendre les mesures nécessaires pour affronter la crise financière et économique. Une interprétation extensive devait permettre de contourner les obstacles qu’une lecture trop littérale semait sur le chemin des responsables politiques. A la rigueur, il aurait accepté un nouveau traité entre les membres – ou des membres – de la zone euro. Cette formule avait l’avantage de ne pas remettre en mouvement tout le processus de révision des traités européens. D’ailleurs le président de la République manifeste un intérêt presque exclusif pour l’Europe de l’euro et ne considère plus l’Europe à vingt-sept que comme une vaste zone où l’intégration n’est ni possible ni même souhaitable.

La position de Nicolas Sarkozy n’était pas sans logique. Réformer les traités, c’est repartir pour plusieurs années de tractations, avec éventuellement la réunion d’une Convention, comme au début des années 2000, le risque que des référendums ne bloquent l’ensemble du processus. L’expérience du traité de Lisbonne a servi de leçon. Au lendemain de la ratification du traité dit simplifié, tout le monde jurait ses grands dieux que la discussion institutionnelle était terminée pour dix ans. La crise a balayé ces bonnes intentions.

Sous la pression des Allemands, Nicolas Sarkozy s’est donc résigné à une réforme des traités. Si l’on en croit son discours de Toulon, il ne s’agit pas seulement de quelques amendements. Il s’agit ni plus ni moins que de « repenser », de « refonder » l’Europe. C’est alors une œuvre de longue haleine qui prendra des années. Rien à voir avec la solution de la crise actuelle qui exige des décisions rapides. On peut donc se demander si le ralliement de Nicolas Sarkozy à la réforme des traités voulue par Angela Merkel n’est pas une feinte pour apaiser la chancelière, lui permettre d’imposer le renforcement de la discipline budgétaire qu’elle appelle de ses vœux, et surtout tenter d’arracher son consentement à un changement de mission voire de statut pour la Banque centrale européenne.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy n’ont pas la même conception de l’Europe. La chancelière n’est pas fanatique de la méthode communautaire qu’elle a critiquée l’année dernière. Mais dans la tradition de son parti chrétien-démocrate, elle n’est pas non plus une adepte inconditionnelle de la coopération intergouvernementale. Elle se prononce pour une voie moyenne entre les deux.

Au contraire, le président de la République est un partisan convaincu de l’Europe intergouvernementale, même s’il concède un élargissement du vote à la majorité qualifiée qui n’est pas évidemment compatible avec la souveraineté des gouvernements. En tous cas, pour la surveillance des budgets nationaux et l’application d’éventuelles sanctions, il ne veut entendre parler ni de la Commission de Bruxelles – dont il n’a pas prononcé le nom dans son discours de Toulon —, ni de l’intervention de la Cour européenne de justice.

Il a également passé sous silence le Parlement européen qui n’a, de toute évidence, aucune place dans la structure de « son » Europe. Certes, le Parlement européen n’est pas l’alpha et l’oméga de la démocratie européenne. Mais Nicolas Sarkozy ne semble pas se soucier de la légitimité démocratique des décisions qui seraient prises par le « gouvernement économique européen », sous la forme d’une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro. Ou plus exactement pour lui, la seule légitimité démocratique est celle des gouvernements nationaux. C’est une conception qui renvoie la construction européenne des décennies en arrière.