L’activisme de Sarkozy contre la prudence d’Obama

Alors que la France reste en première ligne dans le conflit libyen, les Etats-Unis ont retiré leurs avions de la coalition, après avoir, il est vrai, étaient les principaux pourvoyeurs de missiles sophistiqués aux premières heures du conflit. La crise libyenne a mis en lumière un contraste entre l’attitude de Nicolas Sarkozy, tenté par un retour aux sources néoconservatrices de sa politique étrangère et la prudence de Barack Obama, déjà embarrassé par la « guerre de nécessité » dont il a hérité de son prédécesseur en Afghanistan.

Il a fallu la force de persuasion de Nicolas Sarkozy et une détérioration sérieuse de la situation des insurgés à Benghazi pour convaincre Barack Obama d’accepter une intervention militaire en Libye. Comme si le président américain avait déjà assez à faire avec les guerres qu’il a héritées de son prédécesseur George W. Bush. En Irak, le contingent américain a été réduit mais est toujours présent dans un pays qui est loin d’être stabilisé. En Afghanistan, Barack Obama a été obligé d’accroître le nombre de soldats américains présents sur le terrain avant d’espérer un désengagement qui devrait commencer à l’été mais qui ne sera pas terminé avant plusieurs années.

La France est aussi présente en Afghanistan et ses soldats doivent maintenant se battre en Côte d’Ivoire où ils observaient ces derniers temps une prudente neutralité. Cela n’empêche pas Nicolas Sarkozy de se montrer très actif sur le dossier libyen et d’entraîner ses partenaires et alliés dans une intervention militaire que bien peu souhaitaient, à l’exception du Britannique David Cameron. La question n’est pas de savoir ici s’il a eu tort ou raison mais de constater qu’après une phase très « Realpolitik », le président de la République s’est engagé dans une pratique diplomatique digne des néoconservateurs américains. Comme si entre le début des années 2000 et la décennie actuelle, les positions réciproques de Paris et de Washington s’étaient inversées. Avec George W. Bush, les Etats-Unis pratiquaient une politique étrangère largement inspirée des thèses néoconservatrices. Pour faire simple, la promotion de la démocratie, y compris si besoin par la force. Pendant ce temps, la France de Jacques Chirac condamnait l’invasion de l’Irak, le mépris pour les Nations unies voire pour les alliés européens de l’Amérique et le « droit de l’hommisme ».

Prudence à Washington

A Washington, l’heure est maintenant à la prudence. Même le secrétaire d’Etat à la défense, le républicain Robert Gates, parfois qualifié de « faucon », explique, à la veille de quitter ses fonctions que « Tout future secrétaire à la défense qui conseillerait au président d’envoyer encore un grand contingent américain en Asie ou au Moyen-Orient ou en Afrique devrait subir un examen cérébral ». C’est le ton dominant dans l’administration, bien dans la ligne de Barack Obama. Le président a été amené à justifier sa prudence dans l’affaire libyenne face à des critiques venues des deux grands partis. Dans une intervention le 19 mars, au début des opérations, dans une déclaration faire depuis le Brésil où il était en voyage officiel, il a en quelque sorte énoncé sa doctrine : participation à une « large coalition » pour mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité – autrement dit, pas d’action - unilatérale ; une intervention militaire qui n’était pas souhaitée et dont il faut bien mesurer les risques quelles que soient les limites qui lui ont été imposées ; l’usage de la force n’est pas un premier choix – autrement dit pas d’usage préventif, comme l’avait théorisé George W. Bush. Ces réserves étant fixées, Obama reconnaît que les forces américaines ne peuvent pas rester l’arme au pied quand des populations civiles sont menacées. C’est ce qu’il avait déjà dit dans son discours de réception du prix Nobel de la paix en 2010. Et il rappelle au passage que les Etats-Unis disposent de « capacités sans pareilles.

Néoconservatisme

Nicolas Sarkozy ne parle pas de capacités mais de volonté. Après s’être fait le chantre de la Realpolitik au début des révolutions tunisienne puis égyptienne, il a trouvé une mission avec la révolte libyenne. Non seulement il a été l’instigateur de l’intervention de la coalition mais la lutte contre le colonel Kadhafi a provoqué chez lui un revirement complet qui l’amène, selon sa propre expression, à « réviser ses concepts diplomatiques ».

Il l’a fait d’abord à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège de l’Organisation internationale de la francophonie à Paris : « La stabilité qui était le maître-mot de toute action diplomatique il y a quelques années, la stabilité est-elle conforme à nos convictions profondes ? s’est-il demandé en posant des questions purement rhétoriques. Au nom de la stabilité, est-ce que l’on n’a pas condamné des peuples en Europe, au Moyen-Orient, ailleurs dans le monde, à l’injustice, au non-respect des droits de l’homme, simplement parce que la stabilité tranquillisait ceux qui bénéficiaient de la démocratie ? Est-ce que nous ne devons pas nous aussi revisiter notre vocabulaire diplomatique ? Tout discours commençait par la nécessité de la stabilité. Oui, la stabilité ça va quand on est du bon côté du mur, mais quand on est du mauvais côté du mur ? Toutes ces crises, je les vis plutôt, moi, comme une espérance, la nécessité de revoir nos concepts, de revisiter nos traditions, d’apporter de nouvelles idées. »

Quelques jours plus tard à Bruxelles, au sortir d’un conseil européen où la Libye avait été à l’ordre du jour, le président de la République lançait un avertissement à tous les dictateurs : « Chaque dirigeant, et notamment dirigeant arabe, a-t-il dit, doit comprendre que la réaction de la communauté internationale et de l’Europe sera désormais chaque fois la même », sous-entendu que vis-à-vis du colonel Kadhafi.

Il n’est pas certain que la menace soit véritablement mise à exécution mais il n’en reste pas moins que la France est actuellement engagée dans trois conflits, en Afghanistan, en Libye et en Côte d’Ivoire. Ce discours « revisité » fait penser aux déclarations de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle. Le candidat préconisait alors une rupture avec la diplomatie de ses prédécesseurs qu’il jugeait trop timorée et trop conciliante avec les régimes autoritaires. Il se promettait alors de ne pas serrer la main ensanglantée des dictateurs et de poser en priorité la défense des droits de l’homme.

Ces bonnes intentions n’ont pas vraiment été suivies d’effet. Il n’a fallu que quelques semaines au président fraîchement élu pour revenir à la Realpolitik, sympathiser avec Vladimir Poutine et recevoir à Paris le colonel Kadhafi avant de consacrer Ben Ali et Moubarak comme piliers de son Union pour la Méditerranée.

Ce retour aux sources a un accent ouvertement néoconservateur. Le Weekly Standard, organe des néoconservateurs américains, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Il a titré récemment : « Vive la France ! » pour souligner le contraste entre l’activisme de Nicolas Sarkozy et la frilosité de Barack Obama. La différence entre le président de la République et les néoconservateurs américains, du temps où ils avaient une influence sur George W. Bush, est qu’il semble miser sur le multilatéralisme alors que le chef de la Maison blanche détestait l’ONU. Encore que la différence n’est peut-être pas aussi grande qu’il y parait. Parlant des conditions d’une intervention en Libye, Nicolas Sarkozy estimait qu’une résolution du Conseil de sécurité était soit « nécessaire » soit « souhaitable ». Autrement dit, qu’une coalition soutenue par la Ligue arabe, ou par l’Union africaine, voire par l’Union européenne, pouvait contourner un éventuel veto de la Russie ou de la Chine.