L’armée toujours dans le rôle de gardien du temple

L’armée égyptienne contrôle la préparation d’une nouvelle Consitution qui devrait être soumise à un référendum.

Il y aura bientôt trois ans que les Egyptiens se sont débarrassés du régime autoritaire de Hosni Moubarak, le 11 février 2011. Il aura fallu un an pour que le président élu, Mohamed Morsi, tombe également à la suite d’un vaste mouvement populaire, le 3 juillet 2013. Dans les deux cas, l’armée égyptienne, qui tient l’essentiel du pouvoir depuis le coup d’Etat qui a renversé la monarchie le 23 juillet 1952, a joué son rôle de gardienne du régime en accompagnant habilement le mouvement protestataire.

Si l’élection du candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi, le 30 juin 2012, n’a pas calmé la rue, son éviction a engendré une répression sanglante qui a fait plus d’un millier de victimes et entrainé plusieurs milliers d’arrestations. Depuis, l’armée égyptienne, qui a bénéficié durant une courte période de l’appui d’une grande partie de la population inquiète des dérives du nouveau régime islamiste, n’a eu d’autre programme que de stabiliser par la répression ce pays de 85 millions d’habitants.

Le premier employeur du pays

Gardienne des institutions, l’armée égyptienne est aussi le premier employeur du pays puisqu’elle en contrôle tous les secteurs économiques : agriculture, industrie, services et patrimoine foncier. Le nouveau maître du jeu, le général Abdel Fattah Al-Sissi, chef d’état-major de l’armée et ministre de la Défense auto-proclamé, a suscité l’espoir des classes moyennes qui ont vu en lui un nouveau Nasser qui sauverait l’économie égyptienne de l’effondrement dans lequel elle se trouve. Pour l’heure, c’est près de $ 12 milliards injectés par l’Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis qui ont permis à l’économie égyptienne de ne pas sombrer dans le chaos.

Le 24 novembre, une loi, décrétée par le président intérimaire, interdisant toute manifestation n’ayant pas l’aval des autorités, a mis le feu aux poudres dans la rue, et jusque dans les rangs des partisans de l’armée et des militants laïcs, d’autant plus que de nombreuses arrestations arbitraires ont eu lieu suivies de lourdes condamnations. L’embastillement de plusieurs dirigeants des mouvements, à l’origine de la chute des présidents Moubarak et Morsi, et particulièrement populaires, a contribué à la colère de la rue égyptienne. Si bien que la coalition réunie par le général Sissi pour rédiger une nouvelle Constitution et préparer des élections est en train de se fissurer.

Le képi et le turban

Ainsi, l’Etat nationaliste militaire, qui a dirigé l’Egypte durant six décennies, pas plus que l’islamisme politique, qui a échoué avant même d’avoir commencé à établir son pouvoir, n’a pu offrir d’alternative à la vague révolutionnaire dans laquelle a basculé l’Egypte il y a près de trois ans. L’aspiration à la démocratie venue du pays profond, confisquée tour à tour par le képi et par le turban, est en train de se construire face à la répression. Une nouvelle génération d’activistes, d’intellectuels, d’artistes et de petits entrepreneurs du secteur privé est train d’émerger, bousculant tous les repères.

Pour l’heure, un Comité constitutionnel a achevé de toiletter une Constitution remaniée déjà sous l’ère Morsi. Le document fait la part belle aux militaires en restreignant le droit d’association et de contestation. En bref, en enlevant ce qui restait des acquis des révolutions de janvier 2011 et de juin 2013 : la liberté d’expression. Le document constitutionnel a été remis, le 1er décembre, au président intérimaire, nommé par les militaires, Adli Mansour. Un référendum doit se tenir dans un délai de 30 jours, des élections législatives et présidentielles devraient se tenir dans les six mois.

Vers un retour de l’ancien régime ?

Ce coup de force a réussi à unifier le camp contestataire. Islamistes et démocrates sont descendus dans la rue pour affronter les forces de l’ordre. Les premiers réclamant toujours le retour à la légitimité des urnes qui a conduit le premier président démocratiquement élu, l’islamiste Mohamed Morsi, à la tête de l’Etat. Les seconds, réclamant plus de démocratie et le retour des militaires dans leurs casernes. Ce qui fait croire que les militaires sont en train de commettre la même erreur que le régime qu’ils ont renversé le 3 juillet dernier dans un sanglant coup de force, après avoir surfé sur la vague populaire.

Le comité constitutionnel a validé un texte qui soustrait le budget de l’armée au contrôle du Parlement. L’article de la Constitution de 2012 sur l’exclusion politique des figures de l’ancien régime est supprimé. D’autres textes réglementent le droit de manifester ou le droit de grève. La durée de la détention provisoire, fixée à deux ans, sera désormais illimitée. En contrepartie, et « pour faire passer la pilule amère », un plan économique d’urgence prévoit : l’augmentation du salaire minimum dans la fonction publique, l’exonération des frais de scolarité dans les écoles publiques, la baisse du prix des produits de consommation courante. Mais les réformes structurelles douloureuses devront attendre un climat plus serein.

L’ancien secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qui a présidé le comité constitutionnel, avait en tout cas l’air satisfait. On pourrait même lui accorder la faveur d’organiser les présidentielles avant les législatives pour lui permettre, à travers une coalition de caciques de l’ancien régime de Moubarak et de libéraux – le Front de salut national – de contrôler le Parlement. Issu des partisans du « Nassérisme historique », Amr Moussa pourrait devenir la caution civile des militaires ; le général Abdel Fattah Al-Sissi ne voulant pas à l’évidence trop s’exposer et fragiliser une institution militaire qui préfère les coulisses à la scène.

Ce scénario rappelle ce qui se passe en Algérie depuis 1991, où les militaires contrôlent les institutions et l’économie, en contrepartie de la paix sociale, après avoir éradiqué le mouvement islamiste et mis à la tête de l’Etat une figure historique du FLN. Le problème est qu’en Egypte aussi bien qu’en Algérie, le jeu politique est bloqué et l’économie, minée par la corruption, n’est pas redistributrice avec un chômage qui touche le quart de la population et près de 50% des jeunes de moins de 25 ans.

Ce n’est certainement pas pour obtenir ce résultat que des millions d’Egyptiens sont descendus dans la rue en janvier / février 2011 et en juin / juillet 2013.

Il faudra donc se méfier de l’éléphant égyptien qui somnole. Car, quand il se réveille – on l’a vu –, il bouscule tout sur son passage !