L’arrestation de Mladic est un petit pas vers l’Europe. Il en faudra d’autres

Le général Ratko Mladic, en fuite depuis plus de quinze ans, a été arrêté jeudi 26 mai par la police serbe. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY) pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Ratko Mladic est le principal responsable du massacre de Srebrenica, en juillet 1995, dans lequel quelque 8000 musulmans bosniaques ont été exécutés par les milices serbes. 

Est-ce le dernier épisode des guerres qui ont ensanglanté la Yougoslavie au lendemain de la chute de l’empire communiste ? Ratko Mladic, qui a été arrêté après avoir réussi à se cacher pendant plus de quinze ans, était l’un des derniers responsables serbes à avoir joué un rôle capital dans la dissolution de la Fédération yougoslave et dans le conflit qui s’en est suivi, notamment en Bosnie. Il ne reste plus que Goran Hadzic, président autoproclamé de la « république » de Krajina, cette région de Croatie peuplée en majorité de Serbes, qui soit encore en fuite. Les autres inculpés par le TPIY sont soit décédés, comme l’ancien président serbe Slobodan Milosevic, soit sous les verrous, comme le chef des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, dont le procès est en cours à La Haye.

 

Si Ratko Mladic a pu vivre si longtemps sans être inquiété, c’est parce qu’il a bénéficié de complicités non seulement de la part de la population mais encore des services secrets serbes, et peut-être de quelques dirigeants de Belgrade. Les autorités de la Serbie faisaient en effet face à un dilemme. D’une part, elles devaient montrer leur volonté de coopérer avec la communauté internationale en livrant les derniers criminels de guerre toujours en cavale ; d’autre part, elles étaient soumises à la pression des forces nationalistes qui considèrent Mladic et consorts comme de véritables patriotes serbes, voire comme des héros d’un pays une fois encore en proie à la vindicte de l’étranger.

Le président Boris Tadic, qui appartient à la frange libérale et démocratique de la Serbie, savait que le transfert de Ratko Mladic au TPIY était le prix du rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN. La Serbie, comme toutes les anciennes républiques de l’ex-Yougoslavie, aspire à faire partie de ces deux organisations. Un obstacle de taille est ainsi levé.

L’avenir du Kosovo

Ce n’est pas le seul. Outre les réformes intérieures nécessaires pour que la Serbie soit en mesure d’intégrer « l’acquis communautaire », la question du Kosovo doit être réglée avant que la Serbie puisse penser adhérer à l’UE. Les relations entre Belgrade et Pristina se sont certes améliorées au cours des derniers mois, les deux parties cherchant au moins des solutions pratiques aux problèmes posés par la sécession de la province à majorité albanaise. Mais la Serbie ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo et il sera bien difficile à tout dirigeant serbe, quelles que soient ses convictions politiques, de briser ce tabou. Cinq des vingt-sept Etats membres de l’UE ont d’ailleurs refusé de reconnaître le Kosovo indépendant, soit pour des raisons internes, soit par sympathie avec Belgrade. Le président Tadic vient de refuser de participer à un sommet de chefs d’Etat d’Europe de l’Ouest et de l’Est à Varsovie, en présence de Barack Obama, parce que le président du Kosovo, Atifete Jahjaga, a également été invité.

Sans doute, la solution de la question kosovare était-elle européenne. L’entrée simultanée de la Serbie et du Kosovo dans l’UE permettra, un jour, de surmonter les différents. Mais cette volonté de compromis est elle-même une condition de l’adhésion à l’UE.

Elargir ou pas ?

De toutes les anciennes républiques yougoslaves, la Croatie est la plus proche du but européen. S’il n’y avait pas de réticences politiques dans quelques Etats-membres dont la France, Zagreb pourrait être acceptée dans l’UE en 2013. Les négociations d’adhésion sont pratiquement achevées. L’arrivée de la Croatie suscite toutefois des inquiétudes. Un nouvel élargissement de l’UE pourrait favoriser la montée des partis populistes en Europe. De plus, la Croatie apparaît comme le premier maillon d’une chaîne comportant, à terme, l’ensemble des Balkans. Retarder son adhésion, c’est freiner l’élargissement à toute la région. Or les Européens jouent ici double jeu. Ils affirment que les Etats des Balkans occidentaux ont une vocation européenne – cette assurance est une incitation forte aux réformes et un gage de stabilité — ; mais la plupart ne sont pas disposés à honorer leur promesse.

Une ou trois Bosnie ?

Le Monténégro est miné par la corruption. La Macédoine est bloquée par sa querelle sémantique avec la Grèce qui refuse à Skopje d’accaparer le nom de Macédoine. Quant à la Bosnie, où la guerre entre les Serbes menés par Karadzic et Mladic et les Bosniaques musulmans a été la plus féroce de 1992 à 1995, elle reste divisée en trois entités, la Republika Srpska (serbe) au nord, l’Herzégovine à dominante croate et la région de la capitale Sarajevo, à majorité musulmane. Cette division, schématique, devrait être nuancée. Elle rend cependant compte de la réalité, les institutions de l’Etat central ne fonctionnant qu’en fonction du bon vouloir des représentants communautaires. La Fédération croato-musulmane offre un semblant de cohésion, au-delà des différences ethniques ou religieuses mais les velléités d’indépendance des Serbes de Bosnie — un référendum dans ce sens a été évité de justesse, le mois dernier —, renforcent les tentations irrédentistes des Croates.

L’unité de la Bosnie, actée par les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en novembre 1995, ne tient qu’à la présence à Sarajevo du représentant spécial de l’Union européenne. Cette sorte de gouverneur aurait dû voir son rôle diminuer au fil des années, avant de disparaître complètement pour céder le pouvoir suprême aux élus bosniaques eux-mêmes. Mais l’incapacité de s’entendre dans laquelle se trouvent les représentants des trois communautés oblige Bruxelles à maintenir son protectorat. Situation paradoxale qui amènera peut-être un jour, le représentant spécial de l’UE demander son adhésion… à l’UE.

En annonçant l’arrestation de Mladic, le président serbe Tadic a déclaré : « aujourd’hui nous fermons un chapitre de l’histoire de notre région qui nous mènera à une pleine réconciliation ». C’est la fin d’un chapitre ; pas de l’histoire.