L’espoir d’une solution au casse-tête nucléaire, enfin !

L’accord "intérimaire" valable six mois signé le dimanche 24 novembre à Genève entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne, ouvre la voie à un réglement définitif du contentieux nucléaire, à condition qu’il soit scrupuleusement respecté par toutes les parties, écrit François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran.

Le « plan commun d’action » sur six mois, éventuellement renouvelables, adoptéà Genève le 24 novembre par l’Iran et les six pays négociant au nom de la communauté internationale est un bon accord. D’abord parce qu’il a obtenu de l’Iran toutes les concessions qu’il était envisageable d’emporter, comme en témoignent les péripéties de la négociation dans sa phase finale. Exiger plus aurait abouti à tenter de franchir « les lignes rouges » fixées aux négociateurs iraniens par le guide suprême de la révolution islamique, Ali Khamenei. Il y aurait eu rupture et donc absence d’accord. La pression française   En bref, pour le temps des discussions vers un accord définitif, l’accord arrête la montre des capacités de l’Iran d’accéder, s’il en faisait le choix, à l’arme nucléaire. Il n’est donc désormais plus possible de dire que Téhéran tente de gagner du temps par la négociation. A cet égard, la pression des négociateurs français a certainement contribué à renforcer les engagements pris par l’Iran sur les deux filières posant en effet de sérieux problèmes de prolifération : celle de l’enrichissement de l’uranium, impliquant les deux usines de Natanz et de Fordo, celle de la production et de l’extraction de plutonium, impliquant le réacteur d’Arak. Et cette pression française a en définitive plutôt rendu service à Obama. Elle en effet rendu l’accord plus présentable à un Congrès hostile à toute faiblesse envers l’Iran. Certes, les guetteurs d’apocalypse expliqueront, qu’avec ses capacités actuelles, l’Iran pourrait déjà acquérir en six à huit semaines assez d’uranium hautement enrichi pour fabriquer une bombe. Mais à cette aune, il ne faudrait que six à huit minutes pour conduire à leur but quelques missiles capables de détruire en six à huit secondes toutes les installations nucléaires iraniennes. Dieu merci, dans la vie réelle, les choses se passent autrement.

Un important allègement des sanctions 

C’est aussi un bon accord parce que les principaux négociateurs, les États-Unis et les trois pays de l’Union européenne, Allemagne, France et Royaume uni (la Russie et la Chine étant plus effacées), ont su apporter un allègement réel des sanctions américaines et européennes imposées à l’Iran. Ils ont ainsi renforcé la main du Président Rohani et des modérés dans le jeu interne de la politique iranienne, ce qui augure bien de l’avenir. Certes, pour son opinion, pour son Congrès, Obama s’est efforcé de minimiser les gestes accomplis en faveur de la République islamique. Mais ils sont importants, beaucoup plus importants qu’on ne l’imaginait au départ. Ainsi, il n’était sans doute pas envisagé initialement d’alléger les sanctions pétrolières. Au final, l’Iran reçoit la garantie qu’il ne sera plus gêné pour vendre à peu près un million de barils par jour, soit environ la moitié de ce qu’il vendait avant la mise en œuvre de sanctions. Avec un baril aujourd’hui à 100 dollars, il engrange des recettes comparables à celles qu’il collectait il y a une dizaine d’années, quand le baril ne valait pas plus de la moitié, et qui lui permettaient fort bien de vivre. Vers un accord définitif Bien entendu, cet accord n’est que temporaire. Il vise à ouvrir le cycle de négociations devant conduire, en principe en six mois, peut-être en une année, à un accord général et complet visant, avec l’aide de l’Agence internationale de l’énergie atomique, à entourer le programme nucléaire iranien de suffisamment de contraintes et de contrôles pour repérer et étouffer dans l’œuf toute éventuelle tentative d’échappée vers la bombe. La communauté internationale pourrait alors être durablement rassurée. Les sanctions infligées à l’Iran pour ses activités nucléaires pourraient être entièrement levées. Mais l’accord actuel, tout temporaire qu’il soit, esquisse déjà les contours de l’accord final. Il en avance donc la négociation. De plus, par construction, il pousse fortement à l’élaboration de cet accord définitif. En effet, si la négociation échouait, ou encore si l’une ou l’autre des parties se dérobait à la mise en œuvre de ses premiers engagements, chacun reprendrait sa liberté. Pour l’Iran, la liberté de relancer sans entraves ses activités nucléaires, ce qui le rapprocherait encore de la capacité à acquérir la bombe. Pour l’Occident, la liberté de restaurer et de renforcer encore l’arsenal de ses sanctions. L’on voit donc bien qu’aucun des protagonistes n’a intérêt à l’échec. En cela aussi, l’accord du 24 novembre est un bon accord.

Le double effet des sanctions  

Comment en est-on arrivé là ? Bien entendu, la pression des sanctions sur la population et le régime iranien a joué un rôle important. Hassan Rouhani, le nouveau président de la république, avait fait de la levée des sanctions une promesse majeure de sa campagne électorale. Il lui fallait rapidement un premier résultat. Mais du côté occidental, au fil des mois et des années d’une politique de pressions croissantes sur l’Iran, l’on prenait lentement conscience que les sanctions, malgré leur effet évident sur l’économie et la société, ne freinaient que modestement les progrès du programme nucléaire de Téhéran. Le nombre de centrifugeuses tendait à croître de façon exponentielle, l’Iran n’était en rien dissuadé de créer en tel endroit une usine d’enrichissement souterraine, de lancer en tel autre la construction d’un réacteur d’un modèle fortement plutonigène. Les mêmes sanctions, par leur part de succès comme par leur part d’échec, ont donc poussé les deux parties vers l’ouverture de négociations décisives.

Le lent effacement des illusions 

Du côté iranien, l’arrivée d’une nouvelle équipe de négociateurs aguerris et habiles, mais aussi sincèrement à l’écoute de leurs interlocuteurs, a permis de mettre au mieux en valeur une série de propositions déjà avancées à de nombreuses reprises, mais que le style revêche, provocateur, d’Ahmadinejad et de ses négociateurs avait fini par rendre inaudibles. L’on savait ainsi depuis longtemps que l’Iran était disposé, contre assurances adéquates, à renoncer à enrichir au taux de 20%, à plafonner ses activités d’enrichissement au taux de 5% et à convertir l’essentiel de sa production d’uranium enrichi en oxyde prêt à être utilisé comme combustible, donc indisponible rapidement pour de hauts enrichissements de qualité militaire. Ce sont ces clauses bien connues qui réapparaissent dans l’accord du 24 novembre. Et du côté des Occidentaux, l’on a fini par abandonner l’illusion que l’on pourrait faire accepter à l’Iran l’idée de démanteler son programme d’enrichissement, ou même de le suspendre, ou encore d’envoyer à l’étranger une partie de son stock d’uranium enrichi. L’on a abandonné l’illusion de faire ainsi plier l’Iran au nom de la vague nécessité de « restaurer la confiance », sans avoir à reconnaître l’existence de son programme nucléaire. L’on a fini par comprendre que l’on n’arriverait à rien par la seule pression, par des rafales de résolutions de l’Agence internationale de l’énergie atomique ou du Conseil de sécurité, voire par la menace de mise en œuvre d’une option militaire. Ce sont ces illusions qui ont empêché de conclure entre 2004 et 2005 un accord qui aurait beaucoup ressemblé à l’accord actuel, sauf qu’il n’aurait eu à traiter que d’un, deux ou trois milliers de centrifugeuses, et non de 19.000 comme aujourd’hui, et qu’il aurait abordé le réacteur d’Arak comme un projet encore sur le papier. Huit ans de perdus donc, et beaucoup de dégâts inutiles, parmi lesquels l’élection d’Ahmadinejad, pour arriver à un résultat moins satisfaisant que celui que l’on aurait pu alors aisément obtenir. Mais enfin, ne réécrivons pas l’histoire, et ne boudons pas notre plaisir. Nous avons à présent un accord, un bon accord, qu’il reste à faire vivre en l’appliquant scrupuleusement, loyalement, d’un côté comme de l’autre, pour parvenir au succès durable d’un accord définitif, capable de changer la donne au Proche et au Moyen-Orient.