L’étrange proposition de Mélenchon sur les frontières européennes

Aussi bref fût-il, l’échange télévisé entre les cinq principaux candidats à l’élection présidentielle, le lundi 20 mars, a fait apparaître d’une manière plus flagrante que jamais le profond désaccord qui les sépare sur l’attitude à adopter à l’égard de Vladimir Poutine.
Dans ce domaine, le clivage n’oppose pas la droite à la gauche mais sépare nettement deux groupes de candidats : d’un côté Jean-Luc Mélenchon, François Fillon et Marine Le Pen qui défendent des positions clairement divergentes sur la plupart des sujets de politique intérieure mais qui se rejoignent en politique étrangère pour refuser de condamner le président russe et pour passer par pertes et profits l’annexion de la Crimée par la Russie, en violation flagrante des accords d’Helsinki de 1975 et de la Charte de Paris de 1990, signés par tous les Etats européens ; de l’autre, Emmanuel Macron et Benoît Hamon, qui affichent la même fermeté à l’égard de Vladimir Poutine et appellent l’Europe à se défendre contre les visées du Kremlin.

La question est venue sur la table à partir d’une étrange proposition de Jean-Luc Mélenchon de convoquer une conférence de sécurité « de l’Atlantique à l’Oural » pour organiser une négociation « sur les frontières ». De quelles frontières s’agissait-il ? Pressé de s’expliquer, le candidat de la France insoumise a précisé qu’il attendait d’une telle négociation qu’elle porte notamment sur la frontière entre l’Ukraine et la Russie et qu’elle se prononce en conséquence sur l’annexion de la Crimée.
Pour Jean-Luc Mélenchon, une « Europe de la défense » équivaudrait à une « Europe de la guerre » : pour promouvoir la paix dans « un monde redevenu dangereux », il veut engager avec Vladimir Poutine une vaste discussion sans parti pris ni préjugé. « Il faut qu’on rediscute de toutes les frontières, a-t-il dit. La frontières entre la Russie et l’Ukraine est-elle à la fin de la Crimée ou avant ? Je n’en sais rien. On doit en parler ».

Jean-Luc Mélenchon a aussitôt reçu le renfort de François Fillon, qui a fait sienne la comparaison établie habituellement, à des fins de propagande, par les dirigeants russes entre la Crimée et le Kosovo. « Nous avons fait la même chose au Kosovo », a affirmé, à propos de la Crimée, le candidat des Républicains, qui a rappelé son attachement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et souhaité, comme Jean-Luc Mélenchon, l’ouverture d’un débat sur les frontières. Dans une intervention précédente, l’ancien premier ministre, évoquant les menaces qui pèsent sur l’Europe, avait mentionné la domination économique de la Chine, l’imprévisibilité du président américain et le totalitarisme islamique mais il n’avait pas cité Vladimir Poutine, malgré l’annexion de la Crimée et la guerre menée dans l’Est de l’Ukraine.

Marine Le Pen ne s’est pas exprimée, au cours de ce débat, sur les propositions de Jean-Luc Mélenchon, mais on sait qu’elle a jugé « légale », il y a quelques semaines, l’intégration de la Crimée à la Russie et promis, si elle est élue présidente de la République, de la reconnaître officiellement. La candidate du Front national, qui avait dénoncé naguère la « diabolisation » de Vladimir Poutine par les médias français, n’a jamais caché son opposition à la politique européenne en Ukraine.

En revanche, Benoît Hamon et Emmanuel Macron ont affiché l’un et l’autre leur volonté de résister aux menaces de Vladimir Poutine. « Je ne veux pas pactiser avec M. Poutine », a lancé le candidat d’En Marche. Le candidat du Parti socialiste, le premier à réagir à la proposition de conférence présentée par Jean-Luc Mélenchon, a rappelé que la question des frontières est « la plus sensible qui soit » et jugé « inacceptable », au nom du respect de la légalité internationale, l’annexion de la Crimée par la Russie. Les deux anciens ministres de François Hollande sont restés fidèles aux positions de l’Union européenne, qui a sanctionné la Russie. L’un et l’autre ont rappelé leur engagement européen, en particulier en faveur d’une Europe de la défense, rejetée à la fois par François Fillon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

Le fossé se creuse ainsi, sur la question russe, entre ceux qui, au nom d’un souverainisme plus ou moins affirmé, refusent de s’associer aux efforts de l’Europe pour endiguer l’expansion de la Russie et ceux qui, au nom du combat contre les nationalismes, entendent donner un coup d’arrêt aux menées de Vladimir Poutine. La proposition de Jean-Luc Mélenchon est d’autant plus critiquable qu’elle ne peut que renforcer, si elle est suivie d’effet, l’intransigeance du président russe.