Au moment où les sociaux-démocrates sont en recul dans la plupart des pays d’Europe, le parti socialiste portugais vient de remporter une victoire éclatante aux élections législatives du 6 octobre, s’approchant, à dix sièges près, de la majorité absolue à l’Assemblée de la République et devançant largement une droite en perte de vitesse. Au pouvoir depuis quatre ans, les socialistes réussissent l’exploit, avec 36,65 % des voix, d’améliorer de 4,34 points leur score de 2015 et d’augmenter de 20 sièges le nombre de leurs élus (ils seront 106 dans le nouveau Parlement sur un total de 230). Le principal parti d’opposition, le Parti social-démocrate, première formation de la droite malgré son nom trompeur, arrive en deuxième position, avec 27,90 % des suffrages et 77 élus, soit une perte de 12 sièges.
La victoire du PS confirme les résultats des enquêtes d’opinion, qui avaient mis en évidence, au cours de la campagne, la popularité du premier ministre sortant, Antonio Costa, et les faiblesses du PSD de Rui Rio, l’ancien maire de Porto porté à la présidence de son parti en janvier 2018. Elle met surtout en évidence la double singularité du système politique portugais. D’une part, la gauche gouverne depuis quatre ans avec le soutien de la gauche radicale, incarnée par le Bloc de gauche et la Coalition démocratique unitaire, qui inclut le Parti communiste. D’autre part, l’extrême-droite est toujours absente du paysage, le salazarisme (du nom de l’ancien dictateur Antonio Salazar) étant mort sans héritier.
Le grand mérite d’Antonio Costa, 58 ans, homme politique d’expérience, qui fut notamment ministre de l’intérieur, puis de la justice et maire de Lisbonne, est d’avoir assuré le redressement spectaculaire de l’économie portugaise en mettant fin à la cure d’austérité imposée au pays par la « troïka » (FMI, BCE, Commission européenne), sans renoncer pour autant au respect des contraintes budgétaires. Habile négociateur, cet ancien avocat a réussi à concilier les contraires : une politique sociale marquée notamment par la hausse du salaire minimum et une politique européenne fidèle aux engagements du pacte de stabilité. La croissance a repris, portée en particulier par l’essor du tourisme et l’accueil des étrangers. Antonio Costa est ainsi tenu pour le principal responsable de ce qu’on a appelé le « miracle » portugais. Politiquement, il a rassuré la gauche et neutralisé la droite.
L’état de grâce dont bénéficie Antonio Costa durera-t-il ? Beaucoup d’observateurs soulignent les limites du « miracle » portugais. Le premier ministre sortant est lui-même conscient des fragilités du développement économique qui lui vaut la faveur d’une majorité de l’électorat : les emplois créés sont souvent précaires et mal payés, les investissements publics sont en baisse, les infrastructures (hôpitaux, chemins de fer) sont en souffrance. Le mécontentement d’une partie de la population est réel. Il ne s’exprime pas, comme ailleurs, par une poussée des populismes, mais se traduit, dans les consultations électorales, par le fort taux d’abstention, qui a atteint, le 6 octobre, 45,5 %.
Antonio Costa va tenter de reconduire son alliance avec la gauche radicale, qui maintient globalement ses positions. « Il y a des réalités qu’aujourd’hui personne ne peut ignorer, comme les bouleversements climatiques, qui imposent des décisions urgentes et déterminantes pour notre futur et exigent une stabilité politique », a-t-il déclaré après le scrutin. C’est cette stabilité politique qu’il va s’efforcer de mettre sur pied pour continuer dans la voie étroite, celle d’une gauche à la fois politiquement sociale et économiquement rigoureuse, qui a fait son succès. Les sociaux-démocrates européens observeront avec beaucoup d’attention cette nouvelle expérience.