L’ identité nationale, brouillage d’opportunité ?

Qu’est-ce qu’être français ? A quelque mois d’un scrutin électoral majeur (les élections régionales), la « réflexion » lancée par le gouvernement, et animée par Eric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, passe pour être un peu trop de circonstance. Venant après les déclarations du président de la République contre le port de la burqa, la votation suisse hostile à l’édification de minarets - vrai faux problème chez les Helvètes, mais pain bénit pour l’extrême droite européenne - a suscité un regain de méfiance vis-à-vis de la communauté musulmane, assimilée, fortuitement ou pas, à l’islamisme intégriste.

Aussi le débat organisé sur ce thème le 4 décembre dernier à l’Ecole militaire par l’Institut Montaigne, « think tank » créé par Claude Bébéar, fondateur et président de l’assureur Axa, était-il quelque peu pollué par la vague de protestation entourant cet événement. Comme devait le souligner le philosophe Roger-Pol Droit, « si on commence à se demander ce que signifie être français, c’est que tout ne va pas si bien ». Et, dira Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS, être français, « c’est de l’ordre de l’évidence et non du questionnement ». Louis Schweitzer, ancien président de Renault et président de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité), pense, lui, qu’il y a une identité de la France, mais pas d’identité des Français. « C’est de l’ordre de l’intime », affirmera Eugène Henri Moré, maire adjoint de La Courneuve, tout en s’étonnant que dans un pays laïc, on puisse encore se demander si l’Islam est compatible avec la République.

Chargé de remplacer Nicolas Sarkozy qui choisira de s’engager sur ce terrain devenu bien glissant avec une tribune dans Le Monde, François Fillon a tenté de contenir la polémique, comme il l’avait fait pour le congrès des maires de France en novembre, en répondant à la question « non en premier ministre, mais en citoyen ». Une constatation, en introduction à un long exposé d’histoire de France : « la question de l’identité nationale est aussi vieille que la France et aussi plurielle que les Français ». Etre français, c’est avoir, récapitule-t-il, l’esprit frondeur comme Victor Hugo ou Hector Berlioz, un tempérament d’ingénieur comme Gustave Eiffel ou Nicolas Ledoux, avoir le goût de la conversation, de la polémique, de l’orgueil, le sens du collectif, du droit et de l’Etat.

Toutefois, « la fierté d’être français n’est pas quelque chose qui se célèbre une fois par an » et « le geste de siffler la Marseillaise n’est pas anecdotique », insiste François Fillon, bien en ligne avec le discours de Nicolas Sarkozy. Car au chapitre des valeurs, il y a aussi les devoirs des « étrangers qui s’installent régulièrement chez nous » C’est « aux étrangers qu’il revient de faire l’effort d’intégrer la France, avec ses lois, sa langue et ses mœurs, et non à la France de se plier aux coutumes ou à des règles qui ne seraient pas conformes à son pacte républicain… Etre français et vivre en France, c’est une chance mais aussi une charge ». Au chapitre de la laïcité, « ce qui doit être combattu, c’est l’intégrisme, mais surtout pas les musulmans ».

Refuser un débat (Eric Besson se réjouit de son succès sur son site Internet, minutieusement expurgé des propos racistes), c’est, souligne le premier ministre, « laisser le champ libre aux extrémistes et baisser la garde devant ceux qui contestent les fondements de la République ». « Le débat est-il dangereux ? Le danger, c’est de laisser monologuer les tenants du repli national, les nostalgiques qui sont prêts à emboucher le clairon de Déroulède et de Vichy ». Reste à reprendre goût à la pensée politique, plutôt qu’au brouillage d’opportunité (Annette Wieviorka).