L’illusion d’une victoire

Le CERI (Centre d’études et de recherches internationales) en coopération avec l’université de Rome Luiss, a organisé à Paris, le mercredi 27 février, une journée d’études sur les élections italiennes. Le grand vainqueur du scrutin est le Mouvement 5 Etoiles du comique Beppe Grillo ; le pôle de la liberté de Silvio Berlusconi s’est maintenu. Bien qu’arrivé en tête à la Chambre et au Sénat, en termes de score national, la gauche coalisée autour du Parti démocratique, est la grande perdante de ces élections.

En décembre, la gauche aurait gagné. Elle a perdu en février. Pourquoi ? Elle n’a pas su creuser l’écart avec PdL. Elle n’a pas fait une mauvaise campagne ; elle n’a pas fait campagne. Elle a vécu sur son acquis dont elle a pensé qu’il lui suffisait de le conserver pour gagner. Pierluigi Bersani a fait campagne « en roue libre ». Or, il y avait une dynamique dans cette campagne, en faveur du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. Cette dynamique a affecté directement le Parti démocratique que certains de ses partisans ont abandonné pour M5S (Movimento 5 Stelle).

C’est d’autant plus étrange que l’organisation de primaires ouvertes pour désigner le candidat de la gauche était une façon de briser le carcan oligarchique. Bersani a gagné ces primaires avec 3,5 millions de voix. Mais on constate un double paradoxe : d’une part, un candidat sans charisme l’a emporté sur un candidat charismatique dans une compétition fortement personnalisée ; d’autre part, le vainqueur n’a pas su profiter de l’impulsion que lui apportait ces primaires. A peine le scrutin clos, il est revenu à une conception très traditionnelle de la politique, en laissant le champ libre à ses adversaires, et notamment à Beppe Grillo.

C’est donc moins à une remontée de Berlusconi dans les dernières semaines de la campagne à laquelle on a assisté – les derniers sondages non publiés donnaient au PdL un score constant proche du résultat final –, qu’à une descente du PD. Pierluigi Bersani a été aussi gêné par la candidature de Mario Monti qu’il lui fallait critiquer pendant la campagne électorale alors qu’il l’avait soutenu au gouvernement pendant un an et demi. Il est apparu comme un candidat « normal » dans une situation exceptionnelle. Il a été victime de ce décalage.

Peur de la gauche ou rejet de l’oligarchie ?

Inconsciemment, cet ancien fonctionnaire du PCI a réveillé une vieille peur de la gauche dans l’électorat italien, une peur de la gauche qui est liée à une méfiance vis-à-vis de l’Etat, auquel était associé le PCI. Ce n’est pas tant son passé communiste qui lui est reproché mais il est identifié avec la vieille culture partitocratique que rejettent les Italiens. Une culture des années 1970. Une démocratie représentative oligarchique qui suscite des sentiments anti-élitistes, parfaitement captés par Beppe Grillo. La gauche postcommuniste a commis l’erreur de croire qu’après la déconfiture de la démocratie chrétienne dans les années 1990, elle hériterait du pouvoir, par une sorte de fatalité de l’alternance. Elle n’a pas compris qu’elle faisait partie du système qui avait fondé l’hégémonie de la démocratie chrétienne et qu’elle sombrerait avec lui (et avec elle). L’histoire s’est répétée après la chute de Berlusconi. Le pouvoir n’est pas tombé comme un fruit mûr dans l’escarcelle de la gauche parce que la gauche a participé, indirectement voire directement, du système Berlusconi et s’est déconsidérée avec lui aux yeux d’une majorité d’Italiens.

La réforme politique – et pas seulement celle, indispensable, de la loi électorale qui organise l’ingovernabilità – est aussi prioritaire que la réforme économique. C’est la grande erreur de 2011. Le pacte des partis politiques avec Monti a été fondé sur la séparation de la réforme économique et de la réforme politique, pour ne pas toucher aux prérogatives de l’oligarchie partitocratique.