L’irrésistible ascension de Vladimir Vladimirovitch

Vladimir Poutine a été élu pour la première fois à la présidence russe en 2000. S’il faisait les deux nouveaux mandats de six ans qu’il espère, il resterait au pouvoir pendant vingt-quatre ans. Mais la contestation monte.

Peu de gens, en Russie et a fortiori à l’étranger, connaissaient Vladimir Poutine quand il a été nommé Premier ministre par Boris Eltsine en août 1999. Cet homme discret au visage lisse mais au regard perçant n’était sans doute, pensait-on, que le énième chef de gouvernement que le vieil autocrate brouillon du Kremlin essayait d’installer afin de sortir la Russie du chaos. Le pays subissait en effet une série de chocs, liés aux conséquences de l’effondrement du communisme, à la libéralisation sauvage de l’économie, à la crise financière de 1998 venue d’Asie et à la reprise de la guerre en Tchétchénie. 

Le rôle de la classe moyenne

Aujourd’hui, la question est de savoir si Vladimir Poutine est reparti pour un bail de douze ans à la tête de la Russie après déjà plus de douze ans de pouvoir. Petit à petit, avec le savoir-faire et l’absence de scrupules du guébiste qu’il a toujours été, il a réussi à s’imposer. D’abord à Eltsine, qui a démissionné pour lui laisser la présidence moins de six mois après sa nomination à la tête du gouvernement. Puis aux « siloviki », les fameux « hommes à épaulettes » qui peuplent les services secrets, la police et l’armée. Aux oligarques, ces hommes d’affaires qui ont fait fortune sur les décombres de l’économie administrée, en évinçant la première génération – éventuellement par la prison ou l’assassinat – et en la remplaçant par des affidés. Aux Russes enfin, à la masse de la population en l’anesthésiant par des rodomontades nationalistes et à la nouvelle classe moyenne en lui garantissant l’accès à la société de consommation. C’est cette même classe moyenne, spoliée par la crise financière de 1998 et choyée par Poutine, qui le défie maintenant dans les rues, peut-être gavée matériellement mais frustrée d’être privée de ses droits politiques. Mais c’est une autre histoire.
Vladimir Poutine n’a pas cinquante ans – il est né le 7 octobre 1952 – quand il arrive au pouvoir. Il a fait l’essentiel de sa carrière au KGB où il est entré tout de suite à sa sortie de l’université de Leningrad (redevenue Saint-Pétersbourg). Il fait ses classes dans le 5è département, celui qui est spécialisé dans la chasse aux dissidents, avant d’être envoyé en 1985 comme agent de la 1ère direction (espionnage), à Dresde en Allemagne orientale. C’est de là qu’il assiste à la réunification allemande et à l’effondrement du camp soviétique.

Chef des « organes »

Rentré dans sa ville natale, il devient un collaborateur du maire « libéral » Anatoli Sobtchak, son ancien professeur à l’université. Il doit sans doute à cette amitié d’entrer quelques années plus tard dans l’administration présidentielle à Moscou puis de devenir, en 1998, directeur du FSB, le successeur du KGB. C’est un lieu idéal pour rassembler, voire fabriquer, sur les dirigeants politiques et économiques des « kompromat » (matériaux compromettants), très utiles dans la lutte pour le pouvoir. Vladimir Vladimirovitch Poutine ne s’en prive pas, y compris à l’encontre de son prédécesseur à la tête du FSB et Premier ministre d’alors, Evguéni Primakov, un vieux crocodile rescapé de l’ère soviétique.
Quand Boris Eltsine cherche un nouveau chef de gouvernement, Boris Berezovski, un oligarque aujourd’hui exilé à Londres mais à l’époque bien en cour, lui suggère le nom de Poutine. Celui-ci apparait comme l’homme de la situation alors que les incidents ont repris en Tchétchénie après la dénonciation par Moscou de l’accord signé en 1996 avec les indépendantistes. Premier ministre, Poutine lance la deuxième guerre de Tchétchénie pour assoir sa popularité chez les Russes. Il la poursuivra en tant que président en promettant de pourchasser les rebelles « jusque dans les chiottes ».
Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine surprend tout le monde en annonçant sa démission de la présidence russe et en confiant, conformément à la Constitution, l’intérim au Premier ministre. Non sans s’être assuré auparavant que Poutine lui accorderait, à lui et à sa famille, les « garanties présidentielles », c’est-à-dire l’immunité pour tous les délits financiers qui pourraient lui être ultérieurement reprochés.

Le successeur de Eltsine

En mars 2000, Vladimir Poutine est élu président pour la première fois. Quatre ans plus tard, il est réélu. Il a eu le temps de consolider son pouvoir en s’entourant de collaborateurs connus naguère à Leningrad et d’hommes issus du KGB, y compris de certains tombés en disgrâce au moment de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev. Tout est bon pour renforcer la « verticale du pouvoir », c’est-à-dire la concentration des pouvoirs dans les mains de Poutine et de son entourage.
En septembre 2004, une prise d’otages par des rebelles tchétchènes dans une école de Beslan, en Ossétie du nord, se solde par plus de 300 morts dont des dizaines d’enfants, après une intervention sans discernement des forces de l’ordre. Poutine en profite pour supprimer des institutions fédérales, l’élection des gouverneurs au suffrage universel, et renforcer son emprise sur la vie politique. La « démocratie dirigée » imaginée par Vladislav Sourkov, l’idéologue du Kremlin, doit respecter les formes extérieures de la démocratie mais mettre en place des mécanismes qui garantissent la pérennité des clans au pouvoir : manipulations des élections, contrôle des medias, notamment de la télévision qui est la seule source d’information en dehors des grandes villes, interdiction de facto des partis politiques d’opposition, endogamie quasi-totale entre les détenteurs du pouvoir politique et les responsables des secteurs énergétique et militaro-industriel.

Chaises musicales

Le respect extérieur des normes constitutionnelles amène Poutine à renoncer à un troisième mandat présidentiel en 2008. Il pousse son homme-lige, Dmitri Medvedev, qui abandonnera très vite, si tant est qu’il en jamais ait eu, toute velléité d’émancipation par rapport à son mentor. Poutine, lui, se réserve le poste de Premier ministre. Medvedev prépare même la prolongation du règne poutinien en faisant voter un allongement du mandat présidentiel de quatre à six ans. Tout est donc en place pour que Vladimir Vladimirovitch reste au pouvoir plus de deux décennies. A l’automne 2011, le tour de passe-passe est éventé : Poutine sera candidat aux prochaines élections et s’il est élu – ce dont il ne doute pas – il confiera le gouvernement à Medvedev.
Ce jeu de chaises musicales a exaspéré les Russes des grandes villes, ceux qui sont tournés vers le monde, qui s’informent et communiquent grâce à Internet, qui ne supportent pas qu’on les traite comme des moujiks incultes et passifs. Les accents nationalistes, la dénonciation de l’Occident et la découverte de pseudo-complots ne les impressionnent plus. Ils ont jusqu’à maintenant bien profité du système Poutine mais ils veulent s’en émanciper et ils se savent en mesure de le faire. Enfermé dans son cadre de pensée hérité du KGB, Vladimir Vladimirovitch ne l’a pas compris. Les vieilles recettes peuvent encore marcher, mais pour combien de temps ? C’est la question qu’au lendemain d’une réélection annoncée, le maitre du Kremlin devrait se poser.