L’irrésistible ascension des Verts

Dans la ville-Etat de Brême, dimanche 22 mai, les Verts ont relégué les chrétiens-démocrates à la troisième place pour la première fois dans l’histoire politique de l’Allemagne. Trois jours plus tard, Winfried Kretschmann, premier ministre-président d’un Land appartenant au parti écologiste prononçait son discours d’investiture au Parlement de Stuttgart. Les Verts apparaissent comme la force montante de la politique allemande, en mesure de supplanter les libéraux qui, il y a quelques années encore, étaient les « faiseurs de roi » de la République fédérale.

Les Verts accumulent les succès électoraux. Après Hambourg et le Bade-Wurtemberg, c’est au tour de la ville-Etat de Brême de leur faire un quasi-triomphe. La prochaine échéance est en septembre, les élections régionales à Berlin, qui a aussi le statut de Land, comme Brême et Hambourg. Le pari écologiste, mené par l’ancienne ministre de l’agriculture des gouvernements Schröder-Fischer, Renate Künast, espère bien s’imposer aux sociaux-démocrates comme le partenaire indispensable, voire arriver en tête du scrutin afin de pouvoir désigner le maire de la capitale.

En attendant, tous ces succès n’ont pas la même valeur. Dans les petits Länder comme Brême et Hambourg, l’effet national est limité. En revanche la victoire des Verts, qui ont devancé les sociaux-démocrates du SPD, aux élections du Bade-Wurtemberg, est un coup de semonce pour le gouvernement fédéral, et en particulier pour Angela Merkel. A Stuttgart, les libéraux ont été chassés du parlement régional. Privée d’alliés, la démocratie-chrétienne s’est retrouvée dans l’opposition dans un Land qu’elle dirigeait depuis près de soixante ans.

Sans doute des événements imprévus ont-ils joué un rôle. Le tsunami au Japon et la catastrophe nucléaire qui s’en est suivi ont donné un écho particulier aux arguments des écologistes opposés à l’énergie nucléaire, comme 80% des Allemands. De plus, le projet d’agrandissement de la gare de Stuttgart connu sous le nom de Stuttgart-21, a suscité l’hostilité d’une grande partie de la population, y compris dans les classes moyennes qui n’ont pas hésité à descendre dans la rue.

Volte-face

Tous ces éléments ont joué en faveur des Verts. Mais les sondages les donnaient déjà au coude à coude avec le SPD, voire devant lui, bien avant la destruction de la centrale de Fukushima. La politique énergétique de Mme Merkel a désorienté de nombreux électeurs modérés. Quand elle dirigeait la grande coalition avec le SPD (2005-2009), la chancelière avait fait sienne la politique de « sortie du nucléaire » pour les années 2020, au profit des énergies renouvelables. Après sa réélection en septembre 2009 à la tête d’une coalition avec les libéraux, elle était revenue sur cette décision, sous la pression du lobby électro-nucléaire. Nouveau revirement après la catastrophe de Fukushima : le gouvernement annoncé la fermeture immédiate des sept centrales les plus anciennes et la sortie du nucléaire telle qu’elle avait été prévue par les sociaux-démocrates et les Verts et réaffirmée par la grande coalition.

Cette volte-face n’a pas été portée au crédit des partis au pouvoir mais a au contraire donné le sentiment à une majorité d’électeurs que le gouvernement manquait de convictions et naviguait à vue.

La descente aux enfers des libéraux

La principale victime de la désaffection des électeurs modérés est le parti libéral (FDP) du ministre des affaires étrangères Guido Westerwelle. Après avoir enregistré un succès sans précédent aux élections générales de septembre 2009 (près de 15% des voix), le FDP est retombé dans les sondages au-dessous du seuil de 5% qui permet d’être représenté au Bundestag comme dans les parlements régionaux. Cette dégringolade a provoqué un changement à la tête du parti. Guido Westerwelle, qui en était le président depuis une dizaine d’années, a cédé sa place à Philip Rösler, ancien ministre de la santé, devenu vice-chancelier et ministre de l’économie. Les élections de Brême, où le FDP n’a pas atteint les 5%, montrent que cette petite révolution de palais n’a pas eu l’effet escompté au moins dans l’immédiat.

La situation des libéraux est paradoxale. Voilà un petit parti qui a joué le rôle de formation charnière dans la vie politique allemande pendant des décennies. Son programme s’appuyait traditionnellement sur deux piliers : le soutien aux PME et aux professions libérales d’une part, la promotion des libertés individuelles, d’autre part. Sa popularité, largement ses scores électoraux, était soutenue par la personnalité de ses dirigeants qui ont souvent dirigé les affaires étrangères. Un poste qui les plaçait à la première place des hommes politiques préférés des Allemands.

Guido Westerwelle a été l’homme d’une seule élection. Toute sa campagne avait été centrée sur la baisse des impôts, y compris quelques cadeaux fiscaux aux grandes entreprises qui avaient financé son parti. L’état de l’économie – et l’opposition du ministre des finances Wolfgang Schäuble, ne lui a pas permis de tenir ses promesses. Sa gestion de la diplomatie allemande ne l’a pas rendu plus populaire. Guido Westerwelle avait choisi ce ministère prestigieux – qu’il a gardé malgré son départ de la présidence du FDP – plus par égard pour la tradition que par intérêt. Quelques bourdes diplomatiques, comme la demande du retrait d’Allemagne des armes nucléaires tactiques américaines ou l’abstention au Conseil de sécurité de l’Onu sur l’intervention en Libye (qui ne lui est pas totalement imputable) ont contribué à son impopularité.

Le défi pour la nouvelle direction du FDP est de regagner la confiance des classes moyennes et urbaines qui se sont largement tournées vers les Verts. Formation écologique protestataire, orientée vers la seule défense de l’environnement et le pacifisme, le parti vert est sorti de son cocon des années 1980 pour devenir un parti de gouvernement développant un programme global. Il le doit pour l’essentiel à son aile « réalo » (pour réaliste), par opposition aux « fundis » (les écologistes fondamentalistes), et à sa participation aux deux gouvernements Schröder de 1998 à 2005. Symbole de cette métamorphose, ses dirigeants ont abandonné les blousons de cuirs et les chaussures de baskets pour le costume-cravate, tandis que les femmes se produisent dans des tenues où le vert domine.

Social-libéraux en économie, libertaires sur les sujets de mœurs, européens et internationalistes en politique étrangère, les Verts allemands sont devenus des partenaires potentiels pour les deux grands partis de centre droit (la démocratie-chrétienne) et de centre gauche (le SPD). Dans le Bade-Wurtemberg et pour la première fois de leur histoire, ils ont les rênes du pouvoir. Ils doivent faire la preuve qu’ils peuvent mener une autre politique sans détruire les bases de la prospérité dans une des régions les plus riches d’Allemagne. Si le test est réussi, les portes de la chancellerie pourraient leur être grandes ouvertes.