L’opiniâtre combat de Theresa May

Même s’il est contesté et sera peut-être désavoué par une grande partie des députés britanniques, il faut saluer l’accord conclu le 13 novembre entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur les conditions de leur divorce. Après des mois de laborieuses négociations qui semblaient s’enliser dans de vaines et infructueuses tentatives de compromis sur la question irlandaise, les deux camps ont fini par s’entendre, au prix d’ultimes concessions consenties de part et d’autre par les négociateurs. Pour en arriver là, Theresa May a fait preuve, du côté britannique, d’une ténacité à laquelle il convient de rendre hommage tandis que Michel Barnier, du côté européen, a su allier à bon escient fermeté et habileté.

L’accord était déjà acquis entre Londres et Bruxelles sur la note à payer par le Royaume-Uni (45 milliards d’euros) et sur les droits des expatriés (britanniques en Europe, européens au Royaume-Uni). Restait l’obstacle imprévu de la frontière entre la République d’Irlande, destinée à rester dans l’UE, et l’Irlande du Nord, appelée à la quitter avec le reste du Royaume-Uni. Une frontière dont le rétablissement serait contraire aux accords de paix signés il y a vingt ans.

Ce sujet n’avait pas été abordé pendant la campagne référendaire sur le Brexit. Mais il avait surgi dès le début du dialogue engagé entre l’équipe du négociateur européen, Michel Barnier, et ses interlocuteurs britanniques. Il était apparu assez vite comme un facteur de blocage, d’autant plus difficile à surmonter que le gouvernement britannique était lui-même profondément divisé entre ceux qui, avec Theresa May, acceptaient, pour éviter le retour de la frontière irlandaise, le maintien provisoire du Royaume-Uni dans l’union douanière et ceux qui s’y opposaient catégoriquement, comme l’ancien ministre des affaires étrangères Boris Johnson, au nom du respect de la volonté des électeurs.

La première ministre britannique a fait prévaloir ses propositions, au risque de heurter les Brexiters les plus intransigeants, et obtenu que Bruxelles y adhère pour lever l’obstacle irlandais. Elle a convaincu la majeure partie de son gouvernement de les approuver, au prix de plusieurs démissions, dont celle du ministre chargé du Brexit, Dominic Raab. Il lui faut désormais gagner à sa cause la Chambre des communes, où l’un de ses principaux opposants, Jacob Rees-Mogg, chef de file de la révolte, appelle au vote d’une motion de défiance contre elle. Les députés les plus hostiles à l’accord considèrent que celui-ci, loin de permettre la rupture souhaitée par les Brexiters, maintiendrait le Royaume-Uni dans l’orbite de l’Union européenne en lui interdisant de retrouver sa pleine souveraineté.

La partie n’est pas gagnée pour Theresa May. La première ministre n’ignore pas que le « deal » passé avec Michel Barnier n’est qu’une première étape vers la conclusion d’un Brexit « doux », c’est-à-dire d’une séparation qui ne couperait pas tous les liens entre Londres et Bruxelles. Ceux qui ne veulent pas de cet accord souhaitent au contraire que le Royaume-Uni rompe clairement, pour ne pas dire brutalement, avec l’Union européenne. Theresa May aura besoin de toute son énergie, de toute son opiniâtreté, pour être suivie par une majorité des députés. « Je sais que des jours difficiles nous attendent et que l’accord sera examiné à la loupe », a déclaré Theresa May avant l’ouverture du débat parlementaire. Le vote interviendra début décembre.

Le leadership de Theresa May est mis à l’épreuve par la tempête politique qu’elle a soulevée dans les rangs du parti conservateur en concluant le « deal » controversé. Le leadership, a-t-elle affirmé au cours de sa dernière conférence de presse, ce n’est pas de prendre des décisions faciles, mais des décisions justes ». Pour elle, le projet d’accord est le meilleur qui puisse être atteint. Il est, dit-elle, « dans l’intérêt national ». Il est fidèle au vote des électeurs. Theresa May joue sa survie politique. Ce n’est pas la première fois qu’elle est contrainte à un exercice d’équilibrisme. Elle a déjà failli chuter plusieurs fois avant de se rétablir au moment où on n’y croyait plus. Souhaitons-lui de gagner encore ce combat-là car l’accord qu’elle a conclu avec Bruxelles est aussi dans l’intérêt de l’Union européenne. Ou en tout cas c’est la moins mauvaise des solutions si le Brexit a lieu.