L’acte de piraterie aérienne par lequel le pouvoir biélorusse s’est emparé, en plein vol, d’un de ses opposants, le journaliste Roman Protassevitch, et de sa compagne, Sofia Sapega, au mépris des principes les plus élémentaires de la démocratie, pousse à l’extrême les méthodes arbitraires dont use avec constance le président Alexandre Loukachenko pour réduire au silence ceux qui le combattent. Contesté par une large partie de son peuple depuis sa réélection controversée pour un sixième mandat en août 2020, le dictateur de Minsk a choisi de répondre par la force aux manifestations de rue. Les libertés publiques ont été fortement restreintes, la presse bâillonnée, les contestataires jetés en prison. L’arrestation violente de Roman Protassevicth, suivis de ses aveux forcés sur vidéo, marque une nouvelle étape dans l’escalade de la répression.
Le geste provocateur d’Alexandre Loukachenko a été condamné avec fermeté par les Etats-Unis comme par les Etats européens. Le président américain, Joe Biden, a dénoncé « des attaques honteuses contre l’opposition politique et la liberté de la presse ». Le président du Conseil européen, Charles Michel, a parlé d’un « scandale international ». Les sanctions qui frappent déjà les dirigeants du pays pour des violations répétées de l’Etat de droit vont donc être aggravées. Le survol de son territoire va être suspendu et l’espace européen interdit à ses avions. Une aide européenne de trois milliards d’euros va être gelée par la Commission européenne. Une enquête de l’Organisation de l’aviation civile internationale devra établir les circonstances exactes du détournement. Comme l’écrit Le Monde, « l’impunité n’est plus une option ».
A la différence des pays occidentaux, la Russie s’est abstenue de critiquer l’opération de l’autocrate biélorusse. Son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l’a même qualifié de « raisonnable ». Il est vrai que le régime de Vladimir Poutine présente des traits communs avec celui d’Alexandre Loukachenko. Parmi les Etats issus de l’empire soviétique, la Russie et la Biélorussie sont aujourd’hui les deux dernières dictatures d’Europe. L’arraisonnement de l’avion dans lequel voyageait Roman Protassevitch rappelle ainsi la tentative d’empoisonnement du principal opposant russe Alexeï Navalny avant qu’il ne soit, comme son homologue biélorusse, privé de liberté. Vladimir Poutine a-t-il donné son feu vert à Alexandre Loukachenko ? On ne le sait pas. Ce qu’on sait, c’est que les deux pays sont unis dans une même dérive autoritaire, qui piétine sans scrupule la démocratie et les droits de l’homme, comme si la chute du communisme n’avait pas eu lieu.
Mais ce qu’on sait aussi, c’est que les deux despotes, maintenus au pouvoir en partie par des manipulations électorales, font face l’un et l’autre à la montée des protestations populaires. La révolte gronde dans les deux pays. On comprend que leurs dirigeants s’en inquiètent et qu’ils redoutent une insurrection pareille à celle qui a emporté il y a sept ans leur voisine ukrainienne. S’il est vrai que l’efficacité des sanctions reste incertaine, le salut viendra peut-être des peuples eux-mêmes, lassés de l’oppression dont ils sont victimes. On a moqué quelquefois la faiblesse des actions occidentales, et en particulier européennes, à l’égard de la Russie comme de la Biélorussie. Imagine-t-on une intervention militaire pour mettre au pas les dictateurs ? Non, bien sûr. Mais tout ce qui aidera les opposants à combattre ces régimes et à préparer, le jour venu, le passage à la démocratie doit être encouragé.
Thomas Ferenczi