La Chine, coupable mais pas responsable ?

En quelques jours, la Chine a montré qu’elle se souciait fort peu de son image à l’extérieur et qu’elle n’entendait pas céder aux pressions venues de l’Occident. La veille de Noël, elle a condamné à onze ans de prison le dissident le plus célèbre, Liu Xiaobo, qui a appelé à une transition démocratique. Le 29 décembre, elle a exécuté, malgré les protestations de Londres, un ressortissant britannique d’origine pakistanaise, Akmal Shaik, accusé d’avoir introduit 4 kg d’héroïne en Chine. C’était le premier citoyen étranger exécuté en Chine depuis un demi-siècle.

Ces deux décisions peuvent être interprétées comme des manifestations de la volonté de puissance de la direction du Parti communiste chinois. Forts de la place conquise par leur pays dans le monde, les hiérarques de Pékin peuvent se permettre de rester sourds aux déclarations des autres, en particulier des Occidentaux et plus encore des Européens. Ils appliquent leurs lois sans égard pour ce que peut penser la « communauté internationale », ou supposée telle.

C’est une explication. Ce n’est pas la seule. Cette insensibilité aux influences venues du dehors est révélatrice d’un rapport plus complexe et plus profond de la Chine avec le monde globalisé. D’un côté, elle joue pleinement le jeu. La mondialisation économique est un atout fantastique pour le pays, qui a accéléré une croissance soutenue au cours des dernières années, elle-même génératrice d’une hausse spectaculaire du niveau de vie pour 25 à 30 % de la population, ce qui a fait tout de même 300 à 400 millions de gens. Les Chinois reconnaissent que c’est en respectant les règles du commerce international qu’ils ont pu atteindre leurs objectifs. Respect global certes, qui souffre de nombreuses exceptions, mais qui n’en est pas moins évident.

D’un autre côté, les dirigeants chinois sont réticents à tirer les conséquences politiques de cette insertion dans le monde globalisé. Ils se comportent toujours comme si « l’empire du Milieu » pouvait se suffire à lui-même, s’exempter de respecter un certain nombre de normes internationales et refuser les responsabilités que lui confère son statut de grande puissance.

L’attitude de la délégation chinoise à la récente conférence de Copenhague sur le changement climatique est typique de cette sorte de schizophrénie. La Chine a été accusée, à tort ou à raison, par les Européens et à un moindre degré par les Américains, d’avoir été timorée dans ses objectifs affichés et d’avoir bloqué la création d’une institution internationale de l’environnement qui aurait été chargée de vérifier les engagements pour la diminution des émissions des gaz à effet de serre. La Chine a invoqué sa souveraineté pour refuser ce qu’elle considère comme une ingérence dans ses affaires intérieures.

En même temps, les Chinois ont voulu montrer que le premier ministre qui les représentait à Copenhague avait été très actif pour assurer le « succès » de la conférence, comme si Pékin était à la fois conscient de ses responsabilités, soucieux de tenir son rang de « grande puissance » — au moins en devenir – et désireux de manifester sa solidarité avec les pays les plus pauvres, une catégorie dont la Chine ne fait plus vraiment partie tout en comptant encore des dizaines de millions de pauvres. Cette double approche se reflète aussi dans l’attitude de la Chine au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle n’abandonnerait pour rien au monde son statut de membre permanent mais elle n’utilise que rarement son droit de veto, sauf quand le statut de Taïwan est en cause. Elle s’abstient très souvent, comme si la plupart des sujets traités ne la concernait pas, sauf encore une fois quand ses intérêts sont directement concernés. Son vote en faveur de la création d’une mission de l’ONU au Tchad a été salué, il y a deux ans, comme une manifestation de l’engagement de la Chine sur des terrains internationaux où elle n’était pas traditionnellement impliquée.

Une autre illustration de cette prudence peut être apportée par l’accueil réservé que les Chinois ont accordé à l’idée d’un G2 constitué de la Chine et des Etats-Unis. Certes, ils sont flattés d’être placés ainsi dans la même catégorie que leurs rivaux et partenaires. Ils sont parfaitement conscients de l’étroite interdépendance des deux économies, par exemple. Mais ils ne tiennent pas à se laisser enfermer dans ce tête à tête. Ils n’ont pas utilisé la récente visite de Barack Obama pour laisser croire à la connivence de deux superpuissances. Bien au contraire. Ils ont cherché à imposer leurs règles spécifiques à ce genre de visite plutôt que de se laisser entraîner dans un pas de deux.