Le plan chinois de relance massif a eu un impact essentiel. Ses effets devraient se prolonger en 2010, puisque les sommes gigantesques (586 milliards de dollars) annoncées par le gouvernement s’étalent sur deux ans. Le modus operandi de ce plan passe principalement par le crédit bancaire et s’oriente en priorité vers les infrastructures. Les investissements profitent des crédits accordés à tout-va par les banques publiques et progressent de +47% en 2009.
Les entreprises publiques ont été les premières bénéficiaires de cette générosité, suivi dans la deuxième partie de l’année par le secteur privé – en particulier l’immobilier et construction. Cette injection soudaine de liquidités est à l’origine de surcapacités dans certains secteurs comme l’acier et le ciment. Mais rappelons qu’il s’agit là d’un trait de caractère constant : si l’offre est généreuse, la demande suivra…
La consommation progresse, mais de +16% « seulement », stimulée par les subventions et les bons d’achat accordés par les gouvernements locaux. Le secteur automobile est euphorique et les constructeurs présents en Chine ont vu les ventes de véhicules décoller de +63% en 2009, contre +17% par an en moyenne de 2005 à 2008. Dans la dernière partie de 2009, les ventes ont continué leur folle progression (+100% en novembre 2009 par rapport à novembre 2008). Cela peut-il durer ?
Le commerce extérieur reste encore affaibli par la chute sévère des exportations mondiales pour cause de récession, mais les chiffres sont remontés au dernier trimestre 2009. Le surplus commercial a chuté à 6% du PIB en 2009, contre 11% en 2007, et ne représente qu’un tiers de celui de 2008. Mais la machine à engranger des excédents (et des réserves de change monstrueuses (2,39 milliards de dollars à la fin 2009) fonctionne encore très bien. Les exportations ont diminué de -17% en 2009, tandis que les importations progressent légèrement grâce à la reprise de la demande en matières premières et en biens d’équipement – portée par la production industrielle et l’explosion des investissements. En fait, c’est l’activité chinoise, presque à elle seule, qui a soutenu le marché mondial des matières premières en 2009.
Par l’effet des différences de vitesses relatives, la crise a accéléré la montée en puissance commerciale de la Chine. L’Empire du Milieu devient en 2009 le premier exportateur mondial, se plaçant ainsi juste devant l’Allemagne. Les exportations chinoises représentent en 2009 près de 10% des exportations mondiales, contre 3% dix ans plus tôt. Le FMI projette d’ores et déjà qu’elles grimperont à 12% du commerce mondial d’ici 2014. A titre de comparaison, les exportations américaines et japonaises représentent aujourd’hui respectivement 8% et 5% des exportations mondiales.
Mais la crise exacerbe les frictions commerciales et le protectionnisme. En décembre 2009, l’America’s International Trade Commission a fixé de nouveaux tarifs sur les importations chinoises de tubes d’acier (jusqu’alors subventionnés). De façon similaire, les gouvernements de l’Union européenne ont voté l’extension - pour encore quinze mois - des droits de douane antidumping, cette fois-ci pour les chaussures chinoises. Avec la baisse de leurs revenus et de leur pouvoir d’achat, les consommateurs mondiaux s’orientent plus spontanément vers les produits moins chers, chinois. L’élimination des quotas de textile chinois le 1er janvier 2009 a aussi permis à la Chine de gagner des nouvelles parts de marché.
La critique la plus récurrente et persistante porte sur l’accrochage étroit du yuan au dollar par les autorités chinoises, manière de subventionner leurs exportations quand on connaît le bas niveau de la devise américaine. Mais cette gestion de la parité du yuan décroche de plus en plus de la situation économique réelle. Si le yuan était convertible librement, cette devise
s’apprécierait « naturellement » de 40% au bas mot. Ce serpent de mer empoisonne les relations avec les Etats-Unis, mais la Chine se sait forte. Elle a brutalement repoussé les demandes exprimées par Barack Obama à son dernier voyage à Pékin, ce qui, dans cette forme arrogante, est sans précédent.
L’Europe, qui avait toujours fait preuve d’une grande retenue dans l’affaire du yuan, commence à son tour à mettre sérieusement le sujet sur la table. Le commerce chinois va pleinement profiter de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2010, d’un accord de libre-échange avec l’ASEAN. Cet accord permet l’émergence du plus important marché de libre-échange au monde en termes de population (1,9 milliards d’habitants), et à la troisième zone de libre-échange mondiale en termes de valeur - derrière l’Union européenne et l’ALENA. La Chine se frotte les mains : elle espère ainsi profiter d’un accès privilégié aux ressources naturelles et aux consommateurs émergents de l’ASEAN. Pour l’instant, six des dix membres de l’ASEAN ont supprimé leurs tarifs, mais peuvent les maintenir dans une douzaine de secteurs « sensibles ».
Quatre autres pays signataires (Vietnam, Cambodge, Laos, Birmanie) ne démantèleront leurs barrières douanières qu’à partir de 2015.
Pendant l’année 2009, le fameux plan de relance national a été complété par d’autres mesures de soutien à la consommation comme la réforme du système de santé (850 milliards de yuans d’investissements sur trois ans) ou encore le lancement d’un programme de retraites rurales et de sécurité sociale. Le plan devait être initialement financé par le gouvernement central, les gouvernements locaux et provinciaux, et les banques. Mais dans les faits, les banques (sur ordre) ont plus souvent mis la main à la poche que les autorités. Rien que sur les neuf premiers mois de l’année 2009, 8,7 trillions de yuans de nouveaux prêts ont été accordés. Le niveau des crédits attribués par les banques chinoises était de 74% du PIB en 2008 et a grimpé en 2009 à 87% du PIB ! Sans surprise, la majorité de ces prêts sont accordés aux entreprises publiques, sans autres garanties que celles (implicites) des gouvernements locaux. Combien d’entre eux se convertiront d’ici peu en créances douteuses ?
Les signaux d’alerte sont allumés : cette abondance de crédits profite surtout aux entreprises publiques et aux gouvernements locaux - qui s’en servent pour lever des fonds pour leurs investissements en infrastructures – et augmente les risques de monstrueuses surcapacités. Les régulateurs chinois ont demandé aux banques de restreindre temporairement leurs attributions de crédits. Le contrôle des masses financières incontrôlées est donc le nouveau défi de 2010.
Le dossier Google
Sur le plan de la liberté d’expression, le passage des Jeux Olympiques de 2008 n’a pas distendu les mailles du filet répressif, bien au contraire. En témoigne l’affaire Google, dont les causes et les objectifs restent encore opaques. Officiellement, Google aurait été la cible d’attaques de hackers sur son service d’email Gmail (notamment dirigées vers les boîtes de militants chinois des droits de l’homme) ainsi que de restrictions supplémentaires de la
liberté d’expression. Le géant des moteurs de recherche, Google, a annoncé en janvier 2010 qu’il envisageait même de fermer son serveur chinois. Ceci est le premier pas vers une fermeture pure et simple du service Google en Chine. Est-ce une vraie décision ou une posture ?
En acceptant les conditions des autorités chinoises, notamment la censure des résultats de recherche sur Internet, Google écornerait son image et les principes qu’il affiche depuis sa création (libre-circulation et libre-accès à l’information et au savoir). Google aurait donc plus à perdre qu’à gagner en piétinant par son site google.cn sa philosophie libérale présente sur tous ses autres sites. Les autorités chinoises, en position défensive, insinuent de mauvaises raisons : Google n’aurait pas réussi commercialement à percer en Chine face à Baidu.com et quelques autres. Mais l’argument est un peu court. Google, entré en 2006 seulement, détient 36% de parts de marché en Chine (bien sûr, c’est moins que les 75% en Europe et aux Etats-Unis). Mais surtout, l’intelligentsia utilise Google de manière écrasante. L’affaire est sérieuse et aura de multiples conséquences, car elle touche au coeur de manoeuvres massives de désinformation, et finalement des règles du jeu du système mondial.
Au sommet de Copenhague sur le climat en décembre 2009, la Chine a préféré jouer cavalier seul. Pour Pékin, les pays émergents ne sont pas responsables du réchauffement climatique actuel, aucun objectif chiffré ne doit leur être imposé au risque de nuire à leur développement économique. Et nulle autorité supranationale ne serait censée contrôler les émissions desdits pays (sous-entendu : la Chine). En revanche, la Chine se dit prête à faire des efforts et plaide en faveur de généreux transferts de technologies entre pays développés et pays en développement pour améliorer leur efficacité énergétique, bien entendu gratuits dans le sens des pays développés vers les pays émergents. Les multiples délégués chinois au sommet ont systématiquement fait le forcing dans tous les groupes de travail, petits ou
grands, en se proclamant même un temps leaders du tiers-monde en général et de l’Afrique en particulier. Le sommet sur le climat a avorté, comme on le sait. Les Etats-Unis y ont leur part de responsabilité, mais au moins aussi la Chine. La nouvelle donne en 2010 n’est pas tant économique que politique. L’assurance chinoise dans tous les domaines de la vie internationale est nouvelle. La Chine n’hésite plus à affirmer brutalement sa manière particulière de voir les choses et de poursuivre ses intérêts avec de moins en moins de
nuances. Nous devons nous préparer à une mer plus agitée, avec en tête la remarque de Chris Patten, « The only thing that you would fear more than a successful China is an unsuccessful China ».