La Géorgie neuf mois après (2)

Ni l’ancrage définitif dans le camp américain, ni le retour dans le giron russe ne constituent des scénarios crédibles pour la Géorgie. Tout d’abord, parce que la nouvelle administration américaine semble désireuse de promouvoir le rapprochement avec Moscou. Ensuite, parce qu’en s’en remettant totalement aux Américains, les Géorgiens perdraient toute chance de récupérer les provinces sécessionnistes.

La population géorgienne reste fondamentalement hostile à la Russie. Et les Européens ont fait comprendre très clairement au président géorgien que son pays ne pourrait envisager d’intégrer l’Union européenne ou l’OTAN qu’après avoir normalisé ses relations avec la Russie. Enfin, parce qu’on imagine mal les Etats-Unis ne pas réagir à une agression militaire russe de nature à remettre en cause l’existence même de la Géorgie.

Le scénario visant le rééquilibrage de la politique géorgienne à travers une relance de la coopération sud-caucasienne et du dialogue politique avec la Russie, associée au renoncement à l’adhésion à l’OTAN et à une prise de distances à l’égard des Etats-Unis (sans toutefois remettre en cause les contrats énergétiques), paraît plus raisonnable. C’est la voie actuellement choisie par l’Azerbaïdjan. Ce scénario reste néanmoins peu probable, car il ne résout pas les conflits gelés d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et on imagine mal le président Saakachvili, humilié par Moscou, changer brusquement de politique ! Seul son successeur pourrait l’envisager.

Statu quo

Le scénario le plus probable reste donc celui du « statu quo ». Le président Saakachvili parvient à se maintenir au pouvoir. Il sait que les deux seules choses que son opinion publique ne lui pardonnerait pas seraient de faire tirer sur la foule et de précipiter son pays dans une nouvelle guerre civile. Il fera donc tout pour éviter d’en arriver à ces deux extrémités. Il maintient une ligne politique très pro-occidentale et mise sur l’épuisement de la Russie, estimant qu’une révolution y est toujours possible. Il continue de renforcer son armée afin de disposer d’un rapport de forces favorable le jour où la Russie, pour une raison ou pour une autre, se retrouverait dans l’obligation d’abandonner les deux provinces sécessionnistes à leur sort. Parallèlement, le président géorgien poursuit les réformes économiques et verrouille le contrôle du pouvoir.

Mais jusqu’à quand ? Car s’il parvient à améliorer sensiblement le niveau de vie de la population, il est probable que celle-ci cherchera à s’émanciper de sa poigne. Et s’il n’y parvient pas, la frustration populaire risque d’engendrer davantage de manifestations susceptibles de dégénérer en affrontements. Dès lors, il pourrait être tenté par une dérive affairiste et véritablement autoritaire, ou par un nouveau coup de force en direction des régions sécessionnistes. Deux scénarios qui feraient immanquablement le jeu de la Russie.

C’est pourquoi le Kremlin n’a aucun intérêt à éliminer Mikhaïl Saakachvili. Après l’avoir « démonétisé » sur la scène internationale, les autorités russes ont au contraire tout intérêt à le laisser s’enferrer, jouant la carte du pourrissement, espérant ainsi pousser la population à se débarrasser de lui. C’est cette stratégie que Moscou a appliqué à l’encontre du président Viktor Iouchtchenko lors de la « guerre du gaz » de l’hiver dernier, au cours de laquelle le pouvoir ukrainien s’est décrédibilisé face aux populations européennes privées de chauffage.

Comment aider la Géorgie ?

Au-delà des programmes de coopération existants, s’il est une chose fondamentale que les Européens peuvent faire, c’est bien de faire œuvre de pédagogie pour convaincre les Géorgiens qu’il est temps pour eux de cesser de considérer les Occidentaux comme des protecteurs, pour les percevoir comme de simples partenaires. Ceux-ci devraient se lancer dans un véritable exercice d’introspection qui leur permette d’arbitrer entre ces cinq priorités cruciales que sont l’indépendance, l’unité, la liberté, la sécurité et le développement harmonieux. Pour y parvenir, les Géorgiens ne pourront faire l’économie d’une réflexion sur leur rapport à la nation, à l’ethnicité et au peuple, à l’instar de leur président qui considère la Géorgie comme « une mosaïque de peuples et d’influences à l’identité multiple ».

Pour relever ces défis, la Géorgie dispose d’atouts indéniables : une culture et des traditions solidement enracinées, source de cohésion nationale, une situation géographique privilégiée, un potentiel touristique considérable, des terres fertiles et une population au niveau d’instruction élevé. Atout supplémentaire, elle entretient des relations cordiales avec ses voisins, à l’exception de la Russie qui conserve un pouvoir de nuisance considérable à son encontre. C’est pourquoi la Géorgie ne semble pas avoir d’autre choix que d’assainir ses relations avec la Russie.

Les Européens pourraient aussi poursuivre utilement des projets de nature à améliorer la situation économique de la Géorgie, offrant ainsi de l’espoir aux Géorgiens, tant il est vrai que c’est par le développement économique que ce pays deviendra attractif, tant pour les investisseurs étrangers que pour les populations abkhazes et sud-ossètes pour l’instant très hostiles à l’idée même d’un retour dans le giron géorgien. De ce point de vue, l’initiative de « partenariat oriental », que l’Union européenne a lancé au mois de mai 2009, devrait permettre de rapprocher la Géorgie des Européens, sans susciter les foudres du Kremlin. L’Union européenne reste en effet un modèle attractif à la fois pour la Géorgie et la Russie.

En définitive, le gouvernement géorgien sait que s’il veut améliorer le sort de ses concitoyens et conserver une chance d’intégrer un jour la communauté euro-atlantique, il doit encourager l’évolution des mentalités géorgiennes, poursuivre le train de réformes entrepris, renforcer la démocratisation de la vie politique, assainir les relations avec la Russie et rassurer les Occidentaux.