La Grèce au bord du gouffre

L’ euro souffre des craintes continues sur la capacité de la Grèce à rétablir la stabilité de ses finances publiques. Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, dit que la Grèce ne sortira pas de la zone euro, mais la chancelière allemande Angela Merkel souligne, face au contexte grec, sa crainte que "l’euro ne traverse dans les prochaines années une phase très difficile". 

Arrivés au pouvoir en octobre dernier, les socialistes grecs (PASOK), conduits par Georges Papandréou, se sont retrouvés dans une situation explosive en découvrant que le déficit public avait atteint 12,7% du PIB et la dette 113% du PIB pour 2009, alors que les conservateurs, arrivés au pouvoir en 2004 et reconduits en 2007, avaient évoqué, du bout des lèvres, un déficit maximum de 8% contre 3,7% prévu dans une loi de finances rectificatives.

Pour le directeur du Fonds monétaire international (FMI) Dominique Strauss-Kahn, "ce n’est pas uniquement une dette accumulée par la crise. C’est une dette accumulée par la politique menée par la Grèce depuis très longtemps. La situation aujourd’hui n’est que la cristallisation en quelque sorte des problèmes anciens".
La Commission européenne et la Banque centrale européenne ont sermonné Athènes, pointant du doigt le peu de fiabilité des statistiques grecques et les "graves irrégularités" commises – qui ont aussi permis à la Grèce d’adhérer à l’euro dès 2001 —, et elles ont envoyé à Athènes une mission commune, chargée d’examiner les comptes grecs à la loupe.
Déjà placée sous surveillance européenne pour déficit excessif, la Grèce a vu sa note de dette à long terme dégradée par les grandes agences de notation internationale, Standard & Poors, puis Fitch et Moodys, entraînant un renchérissement du coût du crédit pour le pays. Pour financer son endettement, Athènes doit acquitter désormais à un taux d’intérêt proche de 6%, sur le marché obligataire.
L’affaire a enflé, les marchés se sont emballés, les analystes ont tiré à boulets rouge contre la Grèce brandissant le spectre d’une "faillite" probable du pays et brandissant la menace de sa sortie de la zone euro, qu’elle avait réussi à rejoindre de haute lutte, sous le gouvernement réformateur du socialiste Costas Simitis.
Mesurant l’ampleur du problème, Georges Papandréou a affirmé : "pour la première fois [depuis 1974] l’impasse financière de notre pays menace notre souveraineté nationale". Dès le début décembre, les dirigeants européens ont voulu rassurer les marchés. Le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a déclaré que la Grèce "n’est pas et ne sera pas en état de faillite", et Christine Lagarde a refusé de croire "que la Grèce puisse faire faillite".

Dans le même temps, le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, appelait le gouvernement grec à prendre des mesures "courageuses" pour réduire son déficit budgétaire et sa dette.
Les socialistes grecs ont fait voter, fin décembre, un budget d’austérité ramenant le déficit à 9,1% du PIB à la fin 2010 avec une dette de 120% du PIB. Ils ont ensuite planché sur le programme national de stabilité et de croissance qu’ils ont soumis à la Commission européenne. Ce plan, très ambitieux, prévoit de ramener le déficit dans les clous du Pacte européen de stabilité, à moins de 3% en 2012, un an plus tôt que les prévisions initiales, et à 2% en 2013. La dette devrait se stabiliser à partir de 2011 à 120,6% et diminuer en 2012, à 117,7% du PIB.
"Notre effort sur trois ans sera décisif pour l’avenir du pays (...) nous voulons tourner la page le plus rapidement possible", a affirmé Georges Papandréou. "Dans le passé, nous avons déjà démenti les Cassandre, nous le ferons encore aujourd’hui (...) Je suis sûr que nos partenaires européens apprécieront les efforts, pas seulement ceux du gouvernement mais de notre peuple entier", a-t-il souligné.
Le ministre des Finances, Georges Papaconstantinou, a qualifié de "feuille de route" le plan destiné à relever "les grands défis" de la société grecque, à réduire les faiblesses structurelles et à combattre "l’énorme déficit de crédibilité" de la Grèce. Il s’est engagé à réformer l’Office national de statistiques et à lui assurer une indépendance totale.
Parmi les mesures prévues cette année2010, qui devraient dégager plus de dix milliards d’économies, figurent la fin des privilèges fiscaux en tout genre, l’adoption d’un arsenal anti-fraude, une réduction des primes aux fonctionnaires, la diminution des commandes des dépenses des hôpitaux et des armements militaires.
Mais les craintes ont continué à grossir en Europe et les marchés sont restés pessimistes. L’euro a baissé comme si la crise grecque était un test pour la cohésion de la zone euro. Jean-Claude Trichet, suivi de Jean-Claude Juncker, ont néanmoins rejeté comme "absurde" l’idée d’une sortie de la Grèce de l’Union monétaire.
Pourtant, la chancelière allemande, Angela Merkel, sortant de sa réserve, s’est dit craindre que "l’euro ne traverse, dans les prochaines années, une phase très difficile". "Comment allons-nous respecter le Pacte de stabilité ? L’exemple grec pourrait nous apporter de fortes, très fortes contraintes", a ajouté Mme Merkel, avant de souligner, très diplomate, que "des pas importants avaient été faits en Grèce pour rétablir l’équilibre budgétaire".
Habitués à une croissance de 4% pendant une décennie, les Grecs vont devoir maintenant se serrer la ceinture et mettre de l’ordre dans leur Etat, une tâche bien difficile après des années de vaches grasses, largement alimentées par les subventions européennes.