La Roumanie doit respecter les valeurs démocratiques de l’Europe

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

La tentative de destitution du président roumain de centre droit Traian Basescu, pour violation de la Constitution, a échoué. Une écrasante majorité de votants (près de 87 %) a certes demandé son départ, par référendum, confirmant un vote du Parlement. Mais le taux de participation n’a pas atteint les 50 % requis, annulant l’effet de la consultation. « Les Roumains ont rejeté le coup d’Etat », a déclaré le président de la République. Son premier ministre social-démocrate, Victor Ponta, à l’origine de la procédure, a répliqué que nul ne pouvait ignorer la volonté de millions d’électeurs. L’impasse politique en Roumanie est totale.

Elle se double d’une crise avec l’Union européenne, qui accuse Victor Ponta de dérive autoritaire. Avant le référendum du 29 juillet, le président de la Commission, José Manuel Barroso, a adressé une sévère mise en garde aux autorités de Bucarest en leur demandant de respecter la démocratie et l’Etat de droit. Bruxelles a mis le gouvernement roumain sous surveillance renforcée en attendant qu’il revienne à de meilleures pratiques et l’entrée du pays dans l’espace Schengen est remise en question.

Après la Hongrie, la Roumanie, sa voisine, inquiète ses partenaires européens par ses manquements aux principes démocratiques qui sont les fondements de l’Europe unie. Celle-ci dénonce un coup de force, en contradiction avec les valeurs européennes auxquelles les Roumains ont adhéré en entrant dans l’Union en 2007. Le président de la Commission a exprimé des « doutes sérieux » et jugé la « confiance » de l’Europe ébranlée.

Que se passe-t-il en Roumanie qui justifie de telles alarmes ? Un grave conflit oppose depuis plusieurs mois le président de la République et son premier ministre. Après avoir obtenu du Parlement qu’il vote, le 6 juillet, la destitution du président, Victor Ponta a entrepris de supprimer, selon la formule de José Manuel Barroso, les principaux « contre-pouvoirs démocratiques » qui pouvaient entraver son action : il a réduit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle, écarté le médiateur de la République, révoqué les présidents de la Chambre et du Sénat, menacé les juges. Le premier ministre use volontiers de méthodes expéditives : accusé d’avoir en partie plagié sa thèse de doctorat, il a dissous le Conseil national d’attestation des diplômes universitaires.

La crise s’est exacerbée lorsque l’ancien premier ministre Adrian Nastase, qui fut le mentor de Victor Ponta, a été condamné pour corruption, le 21 juin, à deux ans de prison. L’indépendance de la justice est devenue l’un des enjeux de la guerre ouverte entre le président et son premier ministre. C’est aussi l’un des principaux thèmes qui nourrissent depuis quelques années les critiques de la Commission européenne, qui ne cesse d’inviter la Roumanie à lutter plus vigoureusement et plus efficacement contre la corruption. La même demande est adressée régulièrement à la Bulgarie, entrée dans l’Union en même temps que la Roumanie, et aux Etats de l’ex-Yougoslavie, candidats à l’adhésion. Dans ces pays, certains dirigeants s’inquiètent de l’activité des juges et cherchent à maintenir sous tutelle le système judiciaire.

La polémique avec Bruxelles a pris aussitôt à Bucarest une tournure nationaliste. En réponse aux accusations de la Commission, le président intérimaire, Crin Antonescu, un allié du premier ministre, a affirmé que « les lois de la Roumanie se font en Roumanie et ne se négocient pas ailleurs » et qu’il « ne reçoit d’ordre ni de conseils de personne à l’exception du Parlement et du peuple roumains ».

L’Union européenne n’a pas beaucoup de moyens d’action face à la crise politique en Roumanie. Mais il était important de rappeler, comme l’a fait la Commission, que « la primauté du droit », « les freins et contrepoids démocratiques » et « l’indépendance de la justice » sont les « pierres angulaires » de la démocratie européenne. Au moment où l’Union tente de se donner une dimension politique, cet avertissement doit être entendu par ceux qui, en Europe de l’Est, n’ont pas encore tiré toutes les leçons de l’ère communiste.