Si les dirigeants russes se sont réjouis du passage à Moscou d’Edward Snwoden, l’ex-collaborateur de la NSA, l’Agence nationale de sécurité américaine, leur satisfaction a été de courte durée. La présence du « lanceur d’alerte » à l’aéroport de Cheremetievo depuis le 23 juin est devenue une source de tracas plus qu’un atout politique. Certes, il n’était pas mauvais pour l’image de la Russie que celui qui se présente comme un héraut des droits de l’homme bafoués par le Big Brother américain ait cherché refuge, au moins provisoirement, à Moscou. Qu’un citoyen des Etats-Unis, menacé de poursuites dans son pays, demande l’asile politique à Vladimir Poutine à un moment où le régime russe est critiqué, à juste titre, pour les atteintes répétées portées aux libertés individuelles, aurait pu rehausser l’image du président russe.
Ce n’est pas le cas, pour plusieurs raisons. D’abord, la présence de Snwoden sur le sol russe ne saurait faire oublier qu’Internet est dans le collimateur des autorités de Moscou car c’est un instrument dont les opposants se servent habilement. D’autre part, les organisations russes de défense des droits de l’homme qui ont pris contact avec le fugitif – à défaut de prendre fait et cause pour lui —, sont elles-mêmes accusées par le Kremlin d’être à la solde de l’étranger, et en particulier des Etats-Unis. Difficile dans ces conditions pour le pouvoir de tirer profit de leur engagement.
Mais surtout, Vladimir Poutine et les siens n’ont aucune sympathie pour un « lanceur d’alerte », fut-il américain. Les secrets d’Etat, y compris ceux des concurrents et adversaires, sont intéressants s’ils sont utilisés par le pouvoir, pas s’ils sont mis sur la place publique. Le président russe ne s’est pas privé de le signifier à plusieurs reprises à Snowden : il peut demander l’asile en Russie, ce qu’il a fait officiellement le mardi 16 juillet, mais il n’obtiendra un permis de séjour temporaire qu’à condition qu’il renonce à dévoiler de nouveaux documents. « Nous avons d’autres combats que celui pour les droits de l’homme », a déclaré sans fard Vladimir Poutine. On s’en serait douté. Snowden, a-t-il ajouté, « doit cesser de porter tort à nos partenaires américains, aussi étrange qu’une telle déclaration puisse paraître venant de moi ». D’autant qu’en trois semaines, les services russes ne sont certainement pas restés inactifs et ont eu le temps de tirer de Snowden tout ce qu’ils voulaient savoir.
La Russie est engagée avec Washington dans des discussions sur la Syrie, l’Iran, la réduction des armements nucléaires, la coopération économique, etc., qui dépassent largement le cas d’un individu, même en rupture de ban avec ses anciens employeurs. La raison d’Etat l’emporte sur toute autre considération. La Chine a agi selon les mêmes principes et s’est débarrassée de l’affaire sans trop de scrupules.
Poutine n’ira pas jusqu’à livrer Edward Snowden aux autorités américaines. Il ne veut pas contrarier outre mesure Barack Obama mais il ne veut pas non plus lui faire de cadeau. Il reste à trouver un habillage qui permette à l’ex-employé de la NSA de quitter Moscou pour un pays dont les relations avec Washington sont déjà suffisamment dégradées. Moscou devrait le laisser partir "de son plein gré". Washington feindra de le croire, non sans avoir émis quelques protestations. Et l’on reviendra à l’ordre du jour.