La Russie fait un geste en direction de la Cour Européenne des droits de l’homme

La Russie a finalement approuvé une réforme de la Convention européenne des droits de l’homme, dont la ratification était attendue de longue date. Cette réforme permet à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg d’accélérer ses procédures. Moscou avait donné en 2004 son accord à la réforme, mais rechignait à la ratifier. De plus en plus sollicitée en Russie, où elle fait figure de dernier recours, la CEDH enregistre une augmentation constante des requêtes, notamment en raison des plaintes liées aux conflits dans le Caucase (Tchétchénie, Géorgie...). 

La Douma, chambre basse du parlement russe, a ratifié vendredi 15 janvier le Protocole 14 annexé à la Convention européenne des droits de l’Homme et portant sur la réforme de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Cette ratification a eu lieu à une écrasante majorité, les seuls parlementaires ayant voté contre appartenant tous au Parti communiste. Le Conseil de la Fédération, chambre haute du parlement, doit se prononcer sur la ratification mais tout laisse à penser que le protocole sera adopté. La Russie, qui avait signé le Protocole 14 en mai 2006, est le dernier des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe à ratifier cette réforme. A l’époque, le texte avait été jugé contraire aux intérêts de la Russie par la Douma. 

Le Protocole 14 a notamment pour objectif de simplifier et accélérer le travail de la CEDH, y compris en réduisant le nombre de juges nécessaires pour statuer sur des décisions majeures. Cette modification constituait d’ailleurs le point de blocage essentiel pour la ratification du protocole par la Russie. En accord avec les décisions du Comité des ministres du Conseil de l’Europe des 9 et 14 décembre 2009, le collège de trois juges ne pourra statuer que sur des demandes analogues à celles déjà examinées par la CEDH et sur lesquelles il existe des précédents bien établis. Le collège devra inclure un juge élu de l’Etat défendeur, y compris sur demande de l’Etat en question, ou tenir compte de l’avis d’un tel juge. Le juge élu de l’Etat défendeur sera notamment présent au cours de l’examen de plaintes contre son Etat.

Les deux autres points de désaccord concernaient la possibilité d’instruire une requête avant qu’elle ne soit formellement acceptée pour examen par la CEDH et de nouvelles prérogatives pour l’exécution des décisions de la CEDH. A propos de l’instruction préalable, celle-ci ne sera possible que dans des cas complexes et avec l’accord préalable de l’Etat accusé. Quant à l’application des arrêts de la CEDH, la Cour n’aura pas de nouveaux pouvoirs pour obliger les Etats condamnés a exécuter ses décisions. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pourra toutefois s’entretenir avec l’Etat condamné à ce sujet. Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Andrei Denissov, a souligné que l’interprétation de ces trois points de procédure s’applique à tous les Etats membres, et ne profite pas seulement à la Russie.

Malgré ses précisions, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, a salué le vote de la Douma, considérant que la Russie avait envoyé un signal de son attachement à l’Europe. Suivant ses indications, cette ratification va permettre à la CEDH de régler le problème des requêtes accumulées et de consolider son rôle fondamental de défense des droit des citoyens dans toute l’Europe, ainsi que d’aider à l’introduction d’une reforme judiciaire en Russie. Andrei Denissov avait également indiqué que la ratification du Protocole 14 contribuera directement à l’amélioration des droits de l’homme en Russie.

Une telle amélioration serait en effet la bienvenue. Depuis son adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme en 1996, ratifiée en 1998, et jusqu’à fin 2008, la Russie a été condamnée dans 605 cas sur un total de 643 arrêts rendus par la CEDH concernant ce pays. La Russie a donc très rapidement rejoint le rang des pays les plus condamnés par la CEDH que sont la Turquie (1 676 condamnations depuis son adhésion en 1950), l’Italie (1 495 condamnations depuis son adhésion en 1950), la France (556 condamnations depuis son adhésion en 1950) et la Pologne (551 condamnations depuis son adhésion en 1991). A la fin de 2008, la Russie occupait même la première place en nombre de requêtes pendantes devant la CEDH, soit 28% du nombre total de ces requêtes, et la deuxième place en nombre de condamnations rendues par la CEDH durant cette année (derrière la Turquie). 40% des plaines à l’encontre de la Russie concernerait la non-exécution des décisions de justice. Le reste des plaines aurait majoritairement trait aux délais d’examen des plaintes civiles par les tribunaux russes et aux conditions de détention des condamnés.

La ratification du Protocole 14 par la Russie intervient alors que la CEDH vient de reporter l’examen de la célèbre affaire Ioukos du 14 janvier 2010 au 4 mars 2010, car ni le juge russe ad hoc Andrey Bouchev, ni le représentant du gouvernement russe Georgy Matouchkine n’étaient en mesure d’assister à la séance. Georgy Matouchkine a notamment fait valoir qu’il devait être présent à la Douma lors du scrutin sur la ratification du Protocole 14. Andrey Bouchev et le Conseil de l’Europe expliquent qu’il ne s’agit que d’une coïncidence sans portée politique. Ioukos réclame 98 milliards de dollars à la Russie, suite de son démantèlement par l’Etat.

Le vote de la Duma intervient également dans le contexte d’une future réforme du Conseil de l’Europe, dont les grandes lignes ont été présentées à Strasbourg par Thorbjorn Jagland. Il est notamment prévu de renforcer le lien entre le montant de la participation de chaque Etat membre au budget du Conseil de l’Europe et le nombre de ses représentants au sein des structures administratives de l’organisation. La Russie ayant participé à hauteur de 12% du budget l’année passée, le nombre de ses représentants pourrait ainsi doubler à l’issue de cette réforme. Thorbjorn Jagland aurait en effet assuré le président Medvedev en décembre 2009 que les intérêts de Moscou seraient mieux pris en compte de cette manière après la mise en œuvre du Protocole 14.