La Russie soutient l’OTAN en Afghanistan

Les lecteurs de la page Opinions de l’International Herald Tribune n’en ont sans doute pas cru leurs yeux quand ils ont découvert, le mardi 12 janvier, un article signé de deux personnalités officielles russes plaidant pour le maintien de l’OTAN en Afghanistan. Les deux auteurs ne sont pas les premiers venus. Boris Gromov est l’actuel gouverneur de la région de Moscou mais il a surtout été le commandant en chef de la 40ème armée soviétique qui a combattu en Afghanistan de 1980 à 1989. Son co-auteur, Dmitri Rogozyne, est l’ambassadeur de la Russie auprès de l’organisation atlantique à Bruxelles.

 

Que disent-ils ? Qu’il est « impératif que l’OTAN maintienne son engagement en Afghanistan », sinon les conséquences politiques pour l’Alliance atlantique pourraient être gravissimes, la sécurité occidentale pourrait être mise en question et l’avenir de l’Asie centrale serait compromis. Les deux auteurs vont même jusqu’à regretter le « défaitisme occidental » et les « arguments pacifistes et irresponsables », entendus parfois dans les pays européens en faveur d’un retrait de l’OTAN d’Afghanistan.

Etant donné l’animosité du pouvoir russe vis-à-vis de l’organisation atlantique, cet article, qui n’a évidemment pas été publié sans l’aval du Kremlin, rend un son paradoxal et presque comique. Bien sûr, les deux auteurs mettent en avant l’expérience soviétique sur les pentes de l’Hindou-Kusch. S’ils reconnaissent quelques « erreurs » — mais ils n’avaient personne, disent-ils, qui ait pu les mettre en garde —, ils vantent la prétendue stabilité que l’armée soviétique aurait apportée à ce pays, qu’elle a en réalité dévasté. C’est, si l’on n’ose dire, de bonne guerre. On en peut non plus s’empêcher de penser que les Russes ressentent aujourd’hui une sorte de Schadenfreude (joie maligne) à voir l’OTAN risquer de s’enliser en Afghanistan. Il est fort probable que les larmes qu’ils verseraient sur une OTAN défaite seraient celles de crocodiles.

Mais là n’est pas l’essentiel dans cet article, dont les arguments doivent être aussi pris au sérieux.

A l’appui de leur thèse, Boris Gromov et Dmitri Rogozyne invoquent trois raisons d’importance diverse. L’image de l’OTAN et la solidarité des alliés occidentaux n’est certainement pas leur souci premier mais en même temps, les Russes savent bien, même s’ils ne veulent pas se l’avouer, que la présence de l’OTAN en Europe contribue à la stabilité du continent. Au-delà, c’est vrai aussi pour l’ensemble des structures de sécurité occidentales qui seraient, selon les deux auteurs, compromises par « un retrait sans victoire ». Ces structures ne sont certes pas satisfaisantes pour Moscou mais elles valent mieux que le chaos qui s’installerait en leur absence. Les Russes ont beau contester ces structures de sécurité (occidentales), il n’en demeure pas moins qu’ils bénéficient aussi de leur existence et qu’ils y participent, ne serait-ce que par le biais du Conseil OTAN-Russie, qui a été créé au lendemain de la guerre du Kosovo et où, précisément, Dmitri Rogozyne représente son pays.

Reste la troisième raison – la plus importante – des craintes russes : les conséquences d’un échec de l’OTAN sur l’Asie centrale. Les deux auteurs l’écrivent : si l’OTAN se retire, le gouvernement afghan s’effondrera, entraînant un chaos chez les voisins, la montée du fondamentalisme islamique, la déstabilisation de l’Asie centrale, provoquant une vague de réfugiés en Russie et en Europe, ainsi qu’une augmentation du commerce de la drogue.

L’option minimale, envisagée par l’administration Obama, à savoir la neutralisation d’Oussama Ben Laden, ne suffit pas à la Russie : les Occidentaux doivent « consolider un régime politiquement stable [en Afghanistan] et prévenir le retour des talibans ». La Russie est prête à aider l’OTAN, notamment à l’ONU, mais aussi en permettant le transit de troupes et d’équipements par son territoire. Elle n’enverra pas de troupes sur place mais elle participe à l’entrainement d’une force de réaction rapide avec d’autres Etats de la CSTO (Organisation du traité de sécurité collective) qui, depuis 2002, la lie à des républiques ex-soviétiques d’Asie centrale, « en cas de fiasco de l’OTAN ».

C’est une hypothèse que la Russie n’envisage pas volontiers. En 2001 déjà, certains officiels russes soutenaient l’intervention occidentale car sans elle, disaient-ils, Moscou aurait été obligée de se réengager militairement pour endiguer l’influence des talibans dans son voisinage immédiat. Les Russes ne sont donc pas mécontents que l’organisation atlantique fasse le travail. Avec, pour le Kremlin, un bénéfice secondaire : aussi longtemps que l’OTAN est coincée en Afghanistan, elle épuise ses forces et se trouve moins active sur d’autres fronts politiques.