La Serbie, plus loin de l’Europe ?

Le nationaliste Tomislav Nikolic a remporté le second tour de l’élection présidentielle de Serbie contre le président sortant, le libéral-démocrate Boris Tadic. Ce résultat risque de compliquer les négociations entre Belgrade et l’Union européenne, bien que Nikolic ait pris soin de ne pas transformer le scrutin présidentiel en référendum pour ou contre l’Europe.

Les Européens et les Serbes pro-européens – la majorité de la population, si l’on en croit les sondages —, pensaient que la voie était toute tracée. Le président sortant, Boris Tadic, avait provoqué une élection présidentielle en même temps que les législatives dans l’espoir de confirmer la marche de son pays vers l’Union européenne. Sous sa présidence, Belgrade a coopérer avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPY) en livrant le chef des Serbes bosniaques Karadzic puis Mladic le chef de l’armée serbe responsable du massacre de Srebrenica. La Serbie a également ouvert des négociations avec le Kosovo, bien qu’elle ne reconnaisse pas l’indépendance de l’ancienne province autonome.

La victoire de Tomislav Nikolic sera-t-elle le grain de sable qui va enrayer le processus qui avait permis à la Serbie d’obtenir le statut de pays candidat à l’UE, alors que les frères ennemis de Croatie s’apprêtent à faire leur entrer dans l’Union en 2013 ?

Un ancien partisan de Milosevic

A priori tout pourrait le laisser penser. Contrairement à son prédécesseur Tadic, Nikolic est un nationaliste convaincu qui a flirté avec l’extrémisme quand il appartenait au Parti radical de Vojtislav Seselj, actuellement inculpé par le TPY. Il a été dans le passé un soutien de Milosevic qu’il trouvait d’ailleurs un peu mou dans sa défense de la Grande Serbie.

Nikolic a rompu avec le Parti radical pour créer le Parti progressiste qui a fait campagne sur un programme social, sur la lutte anticorruption et sur des thèmes nationalistes, en particulier à propos du Kosovo. En revanche, il a eu la sagesse de mettre en sourdine ses critiques contre l’Europe, tout en maintenant ses attaques contre l’OTAN, coupable d’avoir bombardé la Serbie en 1999.

Directeur de recherches au CERI (Centre d’études des relations internationales) et spécialiste de l’Europe centrale et balkanique, Jacques Rupnik pense que l’élection de Tomislav Nikolic peut, paradoxalement, être une chance. Elle peut permettre à la Serbie de suivre « le modèle croate », c’est-à-dire de « rendre le nationalisme eurocompatible ». Le clivage, dit-il, n’est pas entre des nationalistes forcenés et des libéraux-démocrates tournés vers l’Europe. En Serbie, comme en Croatie, le paysage politique est plus complexe. La vraie question est la suivante : comment passe-t-on du nationalisme radical, autoritaire, au nationalisme modéré, démocratique, orienté vers l’Europe ? Les Croates ont réussi ce passage. Nikolic pourrait aider les Serbes à y parvenir.

L’obstacle du Kosovo

Le nouveau président ne remettra certainement pas en cause les progrès pro-européens accomplis sous la houlette de Tadic. Avec cependant un point d’interrogation : son attitude vis-à-vis du Kosovo. Pour Tadic, il n’était pas question de reconnaître l’indépendance de la province sécessionniste, considérée par la Serbes comme une sorte d’Alsace-Lorraine, là où se trouve le Champs des Merles, le berceau de leur nation. Mais il avait accepté d’ouvrir des négociations sur des questions pratiques avec un gouvernement qu’il ne reconnaissait pas. Même fort du soutien de la Russie, il n’avait guère d’autre choix après que la Serbie a perdu la bataille juridique sur le Kosovo devant la Cour internationale de La Haye. Celle-ci a en effet estimé, contrairement aux arguments serbes, que la déclaration d’indépendance du Kosovo était conforme au droit international.

Tadic voulait obtenir un statut spécial pour la région de Mitrovica où vit la moitié des Serbes restés au Kosovo, une protection pour l’autre moitié répartie dans le pays, des garanties pour le patrimoine culturel serbe, notamment religieux, et l’assurance que les Serbes du Kosovo pourraient conserver des liens privilégiés avec la mère-patrie.

L’idée implicite sous-tendant ces négociations était de bâtir peu à peu des relations de confiance entre Belgrade et Pristina, sous l’égide de l’UE, permettant à terme une adhésion quasi-simultanée des deux à l’Europe, avec ou sans reconnaissance formelle.

C’est sur ce sujet que le nouveau président Nikolic est attendu. S’il récuse le pragmatisme de son prédécesseur, son image qui est déjà très mauvaise dans la région en pâtira encore plus. Dans l’ancien espace yougoslave, deux tendances contradictoires coexistent. D’une part le souvenir des guerres des années 1990 et d’autre part la reconstitution de liens économiques et culturels, encouragée par Bruxelles qui mise sur la coopération régionale.

C’est un moyen pour les pays les moins avancés de se frayer un chemin vers l’UE. Pour les Serbes, où le niveau de vie moyen représente 30% de la moyenne européenne (contre 60% en Croatie), il n’y a pas d’autre voie, même si quelques nostalgiques pensent à une coopération slave avec la Russie. Les Serbes ont perdu la guerre ; ils ont perdu l’accès à la mer avec l’indépendance du Monténégro ; ils ont perdu la bataille juridique internationale à propos du Kosovo. Ils ont beau célébrer la défaite du Champ des Merles en 1389 comme un acte fondateur, ils auraient bien besoin d’engranger quelques succès. Malgré ses difficultés actuelles, l’Europe peut leur en offrir l’occasion.