La bataille des deux Amériques

C’est une constante de l’histoire des Etats-Unis. Périodiquement les Américains abandonnent leur optimisme légendaire pour sombrer dans le déclinisme. C’était vrai après la guerre du Vietnam, avec la crise financière des années 2000, avec la montée de la Chine et le réalignement des puissances dans un monde que ne semblait plus maîtriser « l’hyperpuissance ». Entre le sentiment du déclin – même relatif – et la conscience de rester la première puissance économique et militaire de la planète, la division est à la fois, ou tour à tour, historique ou sociale.
Même dans les phases de grandeur, des pans entiers de la société se considèrent comme les laissés pour compte de la croissance. Souvent à juste titre. Dans la période de globalisation qui a vu la technologie américaine devenir la référence internationale, les travailleurs des secteurs et des régions dont la prospérité avait été fondée sur l’économie traditionnelle, ont subi de plein fouet les effets de la crise. Ils forment aujourd’hui un contingent important de l’électorat de Donald Trump. Selon un récent sondage, 57% des hommes blancs sans diplôme seraient prêts à voter pour le candidat républicain lors des élections présidentielles du 8 novembre.
C’est donc à eux que Donald Trump s’adresse. Il veut être la voix des sans-voix. Il est le représentant de cette Amérique qui se vit dans le déclin et qui en rejette la responsabilité sur le monde extérieur et sur les immigrés comme sur les élites mondialisées. Avec son slogan « Make America great again », il leur tend le miroir de leur désespérance actuelle et de leurs illusions futures.
Dans son discours de soutien à la candidature d’Hillary Clinton, Barack Obama a présenté l’autre visage de l’Amérique. Celle qui, comme il l’a dit, « est déjà grande ». L’Amérique de l’optimisme, du progrès, de la réussite, des valeurs des pères fondateurs. Sans doute le président sortant est conscient des changements du rapport des forces dans le monde. Lui-même a construit sa politique étrangère sur la prise en compte d’un recul relatif de la prépondérance américaine, sur la nécessité de faire du « nation building at home », et pas seulement à l’étranger comme l’auraient voulu les néoconservateurs entourant son prédécesseur.
Le défi pour Hillary Clinton est de s’inscrire dans la continuité des réalisations de la présidence Obama, d’amplifier la révolution technologique et environnementale dont profitent les couches les plus dynamiques de la société américaine, mais aussi de s’adresser à la détresse des « petits blancs » victimes de ces bouleversements. Le défi, pour elle, est de parvenir à concilier des contraires. Son adversaire républicain, lui, ne s’en soucie pas. Il promet à tout le monde tout et son contraire sans que ses partisans ne lui en tiennent rigueur.
Ses contradictions éclateront peut-être pendant la véritable campagne électorale qui commence et pendant les débats avec Hillary Clinton. Mais on a trop dit depuis le début des primaires républicaines que Donald Trump avait peu de chances d’accéder à la nomination, a fortiori de gagner la présidence, pour ne pas être prudent et vigilant. L’issue de la bataille entre les « deux Amériques » aura aussi un impact sur l’avenir de l’Europe.