La France, l’Europe, les Etats-Unis, ont longtemps apprécié Moubarak et Ben Ali, barrages selon eux face à l’islamisme. Avec le « printemps arabe », ils semblèrent découvrir qu’ils étaient des dictateurs et alors ils se réjouirent de cette révolution qu’ils jugèrent démocratique, sans d’ailleurs porter attention au fait que jamais la démocratie occidentale n’y était invoquée comme une référence. Ils se résignèrent aux Frères musulmans, quand ceux-ci prirent le pouvoir, comme une alternative au désordre. Lorsqu’en juillet dernier, le peuple se souleva contre ceux-ci, ils cachèrent mal leur soulagement. Vint la répression. Alors ce fut la réprobation à Paris, Bruxelles et Washington.
Comment, face à ces palinodies, un Egyptien, un Tunisien, un Syrien, d’autres encore, pourraient-ils avoir de l’estime pour eux ?
En Syrie, au début, la France, l’Europe, les Etats-Unis ne surent que faire, ils n’avaient d’ailleurs rien prévu. Ils préférèrent pratiquer l’attentisme face à une situation, il est vrai complexe, qu’ils ne comprenaient guère. Faute de pouvoir agir, ils firent des Russes et de leur soutien à Bachar el-Assad les responsables de leur inaction. Ils dirent d’autre part que rien ne devait être entrepris qui pourrait étendre la crise au reste de la région, mais dans le même temps, ils soutinrent la rébellion. Pour le reste, rien ne fut décidé sauf d’élever le ton et de faire la morale. Un peu comme ces personnes âgées qui, n’étant plus capables d’agir, donnent des leçons. Signe de son impuissance, cette attitude étant aussi la séquelle d’une époque où l’Occident pouvait prétendre régir le monde à sa façon. Ainsi du moins la France, l’Europe, les Etats-Unis allaient-ils satisfaire leurs consciences et leurs opinions publiques.
Le temps passant, la situation en Syrie ne cessa de s’aggraver et de se compliquer. Le conflit est aussi désormais le terrain privilégié de l’opposition entre sunnites soutenus par les Saoudiens et chiites appuyés par l’Iran. D’autre part, l’islamisme extrémiste est devenu l’un des acteurs de la crise en noyautant le parti des insurgés au risque d’en dénaturer la cause dans leur lutte contre un régime dictatorial.
Vient le drame terrible de l’usage des armes chimiques. Les Nations Unies envoient des experts sur place. Sans attendre leurs conclusions, Washington, Londres et Paris proclament qu’il n’est plus possible d’attendre davantage pour agir. Mais qu’attendaient-ils d’ailleurs jusque là ? Que les Russes renoncent à soutenir Bachar el-Assad, que celui-ci se retire, qu’un accord se fasse spontanément entre lui et la rébellion, ou que par quelque autre miracle la situation s’arrange d’elle-même ? Il est vrai que peut-être, au début de la crise, conjuguant leurs efforts par delà leurs positions différentes, les puissances occidentales et les Russes auraient-ils peut-être pu contraindre les parties à un compromis. Mais ils préférèrent, la France en tête, s’invectiver.
Après l’attaque chimique, il faut bien faire quelque chose, me dit un haut responsable français. Dans cet esprit, il semblerait qu’il n’y ait plus d’autre alternative qu’une véritable et sans doute durable intervention militaire, pouvant dégénérer en un conflit plus large, voire une déstabilisation progressive de tout le Sud de la Méditerranée, ou une simple gesticulation militaire sans effet sur les évènements, l’impuissance nouvelle générale des puissances occidentales s’en trouvant davantage démontrée. Dans l’une et l’autre hypothèse, rien ne serait résolu pour autant, bien au contraire. Dans la seconde, la morale serait sauve, si la Syrie ne serait pas sauvée.
Si le sermon pratiqué au début n’est pas une politique, la canonnière n’est plus une solution. Depuis la fin du régime des blocs, aucune superpuissance ne peut plus prétendre imposer sa loi où que ce soit. Il n’existe aucune légitimité pour quiconque - sauf mandat des Nations Unies - à s’ingérer dans les affaires intérieures d’un Etat pour régler ses problèmes à sa place. En outre, aucune intervention militaire ne suffit à permettre la reconstitution d’un espace politiquement stable, condition d’un véritable rétablissement de la paix – le précédent irakien est là pour le rappeler-.
La vérité est cruelle, mais la crise syrienne est probablement appelée à durer. Qu’on le veuille ou non, elle ne sera résolue, d’une façon ou d’une autre, que par les malheureux Syriens eux-mêmes – pour autant que des interventions extérieures sunnites ou chiites ne viendront pas la compliquer -. Il en est ainsi comme partout ailleurs dans le monde, où se multiplient des problèmes sans solution prévisible à court terme.
La politique étrangère de la France a pour objectif général, outre le service du pays, celui de la paix. Elle ne pourra l’assumer en privilégiant le sentiment sur la raison.
Nous sommes entièrement fondés à avoir nos idéaux et nos convictions, à souhaiter les faire partager, rien ne nous autorise à prétendre les imposer, ni ne nous donne la possibilité de le faire. Le monde est devenu pluriel, il faut nous en accommoder. Un minimum de règles communes, de droit international, est indispensable pour une coexistence pacifique entre pays différents ; mais il n’y a pas, pour le reste, d’ordre mondial à escompter.
Dans ce monde transformé et divers qui est désormais le nôtre, il y aura toujours des cas où la France devra personnellement et directement s’impliquer. Mais sa vocation première sera sans doute de jouer un rôle de médiateur. Elle n’y parviendra pas sans demeurer neutre, à chaque fois qu’elle peut exercer ce rôle, quoi qu’elle ressente face à la réalité d’une situation. D’autre part pour être efficace, il lui faudra accepter de dialoguer avec tous les interlocuteurs qui comptent et pas seulement avec ceux qui lui plaisent. Enfin, elle aura en toutes choses à continuer de s’affirmer indépendante. Cela signifie d’effectuer souverainement ses analyses et ses choix, et de ne pas suivre nécessairement d’autres pays, tels les Etats-Unis et la Grande Bretagne, parce qu’ils sont ses alliés.
S’agissant de la Syrie, il faut hélas constater que nous avons suivi une politique en tous points différents.