La confiance ne doit pas être un préalable à la négociation ; elle en est une conséquence

François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran, a accordé un entretien à l’agence de presse officielle iranienne IRNA, que nous publions ci-dessous. Il y développe les conditions d’une négociation entre l’Iran et la communauté internationale.

 Q. : Que pensez-vous des nouvelles sanctions adoptées par l’Union européenne ?

 

F.N. : Je pense que les sanctions en général n’aident pas à résoudre la crise de confiance entre l’Iran et l’Occident. Sanctionner et appeler au dialogue, c’est comme appuyer en même temps sur le frein et sur l’accélérateur d’une voiture. Cela ne la fait pas avancer ! 

 

Q. : Que pensez vous de la position du président Mahmoud Ahmadinejad qui a assuré que l’Iran reprendrait ce dialogue sur le dossier nucléaire en septembre, à certaines conditions ?

 

F.N. : L’important c’est en effet de se mettre au travail rapidement pour trouver un terrain d’entente sur ce dossier nucléaire. Sur le plan technique, les solutions sont assez simples et bien connues des experts. Mais on a tout compliqué en posant comme préalable la nécessité d’avoir confiance les uns dans les autres. Si nous avions pleinement confiance les uns dans les autres, tous les problèmes seraient résolus ! Avec un tel préalable, on trouvera toujours des raisons pour ne pas s’asseoir à la même table…

 

Q. : Alors, comment avancer ?

 

F.N. : L’idéal serait que l’on accepte des deux côtés, au moins pour un petit moment, de faire moins de déclarations politiques, et de moins se lancer d’accusations mutuelles. Et pendant ce temps, on demanderait aux techniciens et aux juristes connaissant bien les questions nucléaires de mettre au point un accord simple et clair, aisé à appliquer et à vérifier. Ensuite, si l’accord est fidèlement appliqué des deux côtés, la confiance viendra tout naturellement ! La confiance naît des accords bien appliqués, elle n’a pas à les précéder.

 

Q. : Comment voyez-vous dans tout cela le rôle de la Turquie et du Brésil ?

 

F.N. : La Turquie et le Brésil ont joué un rôle très utile en démontrant qu’il était possible de se mettre d’accord avec l’Iran sur un projet concret de coopération dans le domaine nucléaire. L’accord de Téhéran est donc une bonne base, sur laquelle il est possible de construire.

 

Q. : Que voulez-vous dire ?

 

F.N. : L’idée que l’Iran exporte l’uranium qu’il enrichit à Natanz pour acheter à l’extérieur ce dont il a besoin, par exemple du combustible nécessaire à son réacteur de recherche, est une très bonne idée. Car accumuler de l’uranium légèrement enrichi sans l’utiliser d’une façon ou d’une autre, c’est comme placer tous les jours de l’argent dans un coffre, sans jamais le sortir, sans le faire fructifier !

 

Q. : Que pensez-vous de la détermination de l’Iran à poursuivre son programme nucléaire pacifique ?

 

F.N. : Cette détermination est parfaitement légitime. Mais sur un plan pratique, aucun pays ne peut développer un grand programme nucléaire pacifique tout seul, sans l’aide des autres. Ou alors il faut accepter de perdre énormément de temps et d’argent pour réinventer ce qui a déjà été inventé ailleurs. Donc l’Iran, s’il veut avancer rapidement sur le plan nucléaire, a besoin de la coopération du monde extérieur. Et le monde extérieur a besoin de l’Iran pour établir durablement la paix et la stabilité au Moyen-Orient. On a là toutes les bases d’un bon accord, profitable aux deux côtés.

 

Q. : Que pensez-vous des menaces d’une attaque militaire contre les installations nucléaires iraniennes, qui viennent régulièrement d’Israël ou des Etats-Unis ?

 

F.N. : Ces menaces sont-elles crédibles ou non ? Je ne sais pas. Ce qui est préoccupant, c’est qu’elles soient régulièrement lancées et qu’elles fassent si souvent la première page des journaux. Car de cette façon l’opinion internationale finit par s’y habituer. Sur le plan du droit international, il serait évidemment choquant que des installations nucléaires appartenant à un pays membre du Traité de non-prolifération, et dont l’usage pacifique est contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique, soient attaquées par un pays non membre de ce traité ou par un pays autorisé par ce même traité à posséder un arsenal nucléaire. Quant aux conséquences stratégiques d’une telle hypothèse, elles sont à la fois profondes et imprévisibles. Heureusement, même en Israël et aux Etats-Unis, des voix s’élèvent aussi pour combattre cette idée. Je veux croire que le bon sens gagnera !